Après une semaine qui a vu la pire journée en bourse depuis le krach de 1987, les propriétaires d’actifs à risque se sentent sans doute meurtris et troublés. L’ampleur de la menace que fait planer la Covid-19 est toujours indéterminée et les réponses politiques n’ont pas réussi, à ce jour, à contenir la peur. S’ajoute à ce contexte, une guerre des prix du pétrole qui jette une ombre épaisse sur un secteur crucial déjà sous pression. Un sentiment d’appréhension et de vulnérabilité a gagné nos salons avec l’annulation rapide des vacances printanières, la fermeture des écoles, l’arrêt des activités de la NBA, de la LNH et de la MLB, l’annonce par les célébrités et les politiciens de leur propre crise de santé et la réorganisation de la routine d’un nombre croissant de personnes, par le télétravail, voire la mise en quarantaine.
Comment les investisseurs devraient-ils réagir à cette conjoncture ?
Même si la chose est difficile à faire présentement, prenons un peu de recul. Au moins 114 pays ont été entraînés dans la crise et, pour la plupart d’entre eux, le nombre de cas déclarés n’est probablement que le début d’une tendance haussière. Quelques-uns cependant, dont la Chine, la Corée du Sud et le Japon, le premier à amorcer la tendance, semblent émerger de la crise, comme en témoigne le recul depuis deux à cinq semaines du nombre quotidien de nouvelles infections, qui se stabilise présentement à des niveaux très faibles. Apparemment, le cycle se déroule ainsi : deux semaines de progression rapide, un sommet, suivi d’une diminution quotidienne constante des nouveaux cas. Des facteurs locaux influeront sur ce cycle, y compris la robustesse du système de soins de santé, la capacité des intervenants à isoler efficacement les personnes atteintes et l’observation des règles d’hygiène personnelle. Cependant, les données laissent entrevoir la sortie de crise et, pour les pays qui ont été touchés en premier, la lumière au bout du tunnel.
Évolution de la Covid-19
Hausse et baisse du nombre de nouveaux cas au fil du temps
Au 12 mars 2020. Nouveaux cas ayant fait l’objet d’un diagnostic clinique inclus pour la Chine à partir du 17 févr. 2020 et pointes au-dessus de 100 le 17 févr. 2020 en raison d’un changement de méthodologie. nombre quotidien de nouveaux cas n’a peut-être pas encore atteint son sommet en Italie et au Japon. Sources : OMS, Macrobond, RBC GMA
Cela dit, il nous est impossible de minimiser ou même d’anticiper les répercussions définitives de la pandémie de Covid-19 sur les personnes, les entreprises et les économies régionales et mondiales. Elles dépendront du nombre de lieux touchés, de la durée et de l’intensité des cycles à l’échelle locale et de leur chevauchement, causant de lourds dommages pendant cette période ou, si les cycles se succèdent, allégeant les conséquences immédiates, mais étirant la crise sur une plus longue période. Soulignons que l’évolution de la situation dépendra également de l’impact de la pandémie sur la confiance des entreprises et des consommateurs ainsi que sur les bilans et la libre circulation du crédit.
Nous n’avons la réponse à aucune de ces questions, mais nous pouvons estimer l’ampleur du choc déjà pris en compte par les marchés. Nous pouvons également envisager l’après-crise, parce qu’elle prendra fin, et commencer à réfléchir au positionnement approprié pour profiter de la reprise des actifs à risque. Ainsi, le vingt et unième marché baissier (défini comme étant un repli de 20 % ou plus pour le S&P 500) des 150 dernières années vient tout juste de commencer. Pour l’ensemble des marchés baissiers, la baisse moyenne par rapport au sommet précédent a été de 36 %. Pour ceux qui se sont produits pendant ce que nous appelons un super cycle haussier, amorcé, selon nous, à la fin de la crise financière, l’ampleur des replis s’établit plutôt à 27 % en moyenne. La récente débâcle des actions n’est donc pas la pire à laquelle nous ayons assisté. Cependant, entre le sommet et le creux enregistré le 12 mars, les bourses ont déjà enregistré les trois quarts du repli moyen de 27 % et, comparé à ceux associés aux super cycles haussiers, le déclin actuel pourrait déjà se faire vieux, même s’il ne s’est écoulé que 17 jours de négociation depuis qu’il a débuté.
Une autre façon de voir les choses est de considérer la nature transitoire de la pandémie par rapport à la capacité éprouvée des sociétés de l’indice boursier à générer des bénéfices. Après chaque crise, correction, krach et marché baissier, les bénéfices de l’indice S&P 500 ont toujours fini par reconquérir leur sommet précédent, généralement au cours des trois années suivantes, et souvent après une éprouvante récession. Cette fois, le bénéfice par action de l’indice S&P 500 a culminé à 165 $. Si le repli et la reprise ultérieure des bénéfices suivent la courbe moyenne enregistrée par le passé, nous serons de retour à ce pic au début de 2023. Les taux d’intérêt très bas et la faible inflation sont désormais encore davantage susceptibles de perdurer, de sorte que selon nous, les ratios cours/bénéfices (C/B) devraient être similaires à ceux du marché haussier qui vient de se terminer, soit environ 18,3 fois. Cela place l’indice à 3 020 points dans trois ans, pour un rendement annuel composé de 9,3 %, dividendes compris. Selon un scénario plus prudent, la remontée des bénéfices pourrait être lente, comme durant la période de 51 mois qui a suivi la crise financière, retardant ainsi le rétablissement complet à 2024 et ramenant les rendements composés annuels totaux de l’indice à 7 %. Ou encore, l’aversion pour le risque résiduelle pourrait réduire le ratio C/B d’un écart-type complet et de deux points en deçà de la « juste valeur » mentionnée ci-dessus. Moyennant un ratio de 16,3 et une période moyenne de remontée des bénéfices de trois ans, le rendement composé annuel total s’établirait encore à 5 %. Évidemment, comme pour les cycles de la Covid-19 décrits ci-dessus, il s’agit de simples projections sommaires fondées sur un historique assez limité et comportant un large éventail de résultats possibles. De plus, nous sommes conscients que chaque cycle présente des caractéristiques qui lui sont propres.
À quel point les choses risquent-elles de se dégrader et quelles pourraient être les caractéristiques uniques de ce marché baissier ? Il serait naïf de croire avec certitude que nous avons déjà atteint les creux. Les crises ont leur façon de compromettre les plans les plus dynamiques et les plus mal synchronisés. La croissance importante et l’utilisation fréquente de l’effet de levier, ainsi que le manque de transparence des investissements privés sont certainement préoccupants. Si l’économie stagne, ce qui semble presque acquis aujourd’hui, et surtout si la reprise est retardée, les entreprises fortement endettées pourraient avoir du mal à survivre. Carlyle Group et Blackstone, deux gestionnaires de placements privés de premier plan, ont encouragé leurs sociétés de gestion de portefeuille à profiter des marges de crédit pour se préparer à une période de liquidités limitées. Par ailleurs, dans le secteur pétrolier, les soudaines baisses de prix du brut forceront de nombreuses sociétés d’énergie à faire des choix difficiles si la faiblesse persiste. Les banques centrales s’empressent de réagir, s’efforçant de contenir les pressions sur les liquidités avant qu’elles ne se transforment en une menace beaucoup plus grave pour la solvabilité.
Mais supposons un instant que ces projections sommaires concernant la pandémie et le S&P 500 ne soient pas complètement fausses. Ceux qui choisissent par réflexe de réduire les risques durant un repli aussi intense pourraient bien mettre leur programme d’épargne encore plus en danger. Une fois la crise passée, l’économie gagnera en force grâce à quatre facteurs : l’exécution d’activités et d’opérations reportées pendant la crise ; les réductions des taux d’intérêt déjà décrétées et celles à venir ; les programmes budgétaires supplémentaires qui seront assurément mis en place ; et, dans la mesure où la guerre des prix du pétrole se poursuit, la baisse des coûts de l’énergie.
Il ne fait aucun doute que les taux d’intérêt finiront par remonter de concert avec la croissance, mais tout au long de la courbe des rendements, ils ne seront guère supérieurs à ceux de la dernière décennie, car la situation démographique et divers autres facteurs juguleront les taux réels. Pour les épargnants, la protection que procurent les placements en titres à revenu fixe est certainement appréciée en ce moment. Pour ce qui est de l’avenir, cependant, les obligations d’État en particulier pourraient être confinées à de faibles rendements à un chiffre, et ce, pour une très longue période.
L’atteinte des objectifs à long terme, vraisemblablement établis sur la base des rendements historiques des catégories d’actifs, sera difficile si on n’accepte pas un certain degré de risque dans les portefeuilles. Les actions devraient finalement se redresser selon une trajectoire qui reflète la capacité des sociétés à générer des bénéfices et des valorisations conformes aux bas taux d’inflation et d’intérêt en vigueur. En effet, si les programmes d’épargne et de placement devaient être redéfinis de façon à refléter uniquement la « nouvelle norme » de croissance, d’inflation et de taux d’intérêt modestes qui s’est installée depuis la crise financière, ils se caractériseraient probablement par une augmentation, et non une réduction, des actifs à risque.
La volatilité est difficile à accepter sur le coup, mais l’établissement d’un horizon temporel approprié est essentiel à la réussite d’un plan, tout comme l’est la ferme volonté de s’y tenir. Nos portefeuilles sont construits de manière à assurer une diversification et à refléter davantage que nos scénarios prévisionnels « les plus probables », leur permettant de résister aux périodes où les événements prennent une tout autre tournure. Pour ceux qui sont patients et qui ont un plan d’épargne et de placement bien réfléchi, nous pensons que ce marché baissier passera sans compromettre leurs objectifs finaux.