La dernière année a été une période historique pour les titres à revenu fixe des marchés émergents : pour la première fois, les taux d’intérêt établis par les banques centrales étaient comparables à ceux des marchés développés. La convergence est largement attribuable aux décisions des banques centrales des marchés émergents d’éviter une expansion budgétaire et monétaire énergique pendant la pandémie, ce qui a maintenu l’inflation à un niveau bas par rapport à celui des marchés développés.
Cette convergence des taux d’intérêt, signifiant que les taux des pays émergents diminuaient, pourrait laisser croire que les actions des marchés émergents auraient fait belle figure dans un contexte d’amélioration des perspectives de croissance économique. Ce ne fut pas le cas, car l’indice de référence des actions des marchés émergents a été freiné en 2023 par l’incidence disproportionnée de la Chine. Hors de la Chine, les actions des marchés émergents ont bien fait, le Brésil, Taïwan, la Corée du Sud, le Mexique et l’Inde affichant tous un rendement de plus de 20 %. Pour la première fois en deux décennies, les indices de référence des actions et des obligations des marchés émergents n’ont pas évolué en parallèle.
La question est de savoir si les actions des marchés émergents rattraperont les obligations cette année. Nous sommes d’avis que les banques centrales des pays émergents disposent d’une marge de manœuvre pour continuer d’assouplir leur politique cette année, et que la plupart d’entre elles, hormis en Chine, seront enclines à abaisser les taux, ce qui devrait soutenir les actions.
La menace grandissante de déflation en Chine, la faible croissance du PIB et la morosité des prêts ont nui aux ventes de propriétés au pays, malgré de modestes mesures de stimulation de l’économie. Une question importante que nous nous posons est : qu’est-ce qui pourrait entraîner une intervention plus musclée face au ralentissement graduel observé jusqu’à maintenant ? Nous croyons qu’il deviendra de plus en plus évident pour les dirigeants chinois au cours des deux prochains mois que l’adoption de politiques plus vigoureuses est nécessaire.
D’autres risques en Chine sont liés à la situation démographique et à la dette. La population globale des pays émergents a régressé l’an dernier pour la première fois en 60 ans, et la population en âge de travailler est en baisse depuis le sommet atteint en 2012. Du côté de la dette, les prêts non rentables ont bondi et se chiffrent en billions de renminbis, alors que des sociétés d’État et des consommateurs peinent à rembourser leurs dettes.
Pendant ce temps, de nombreux investisseurs occidentaux choisissent de quitter la Chine. Les investissements directs étrangers sont en baisse pour la première fois depuis 1998, en raison d’une surcapacité dans la plupart des secteurs et de la guerre commerciale sino-américaine. Parallèlement, un nombre croissant d’entreprises chinoises s’installent à l’étranger ; les investissements étrangers directs de la Chine ont crû de 35 % d’une année sur l’autre pour atteindre un sommet de sept ans de 53,4 milliards de dollars américains au troisième trimestre de 2023. Les investissements ont été principalement réalisés par des entreprises chinoises dans les dix pays qui composent l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, ainsi qu’en Inde et au Bangladesh.
Dans ce contexte, l’excédent commercial de la Chine a monté en flèche, alimenté essentiellement par la croissance des exportations chinoises vers d’autres marchés émergents. En avril 2023, l’excédent commercial annualisé du pays a atteint 910 milliards de dollars américains, contre 361 milliards de dollars américains en mars 2020. Dans le même temps, le renminbi est devenu la quatrième monnaie la plus utilisée dans les paiements mondiaux après le dollar américain, l’euro et la livre sterling, et représentait 4,6 % de l’ensemble des transactions internationales en novembre dernier.
La Chine fait des progrès dans ses efforts pour attirer plus de pays dans sa sphère d’influence économique. L’Arabie saoudite, le plus important exportateur mondial de pétrole, et les Émirats arabes unis, où se trouve Dubaï, ont rejoint le bloc des pays émergents qui comprend la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud (BRICS), et le bloc a exprimé son désir de créer un système de règlement des paiements entre les pays membres.
Malgré cela, la détérioration de l’économie chinoise a nui à son importance dans l’indice boursier de référence des marchés émergents et soulève des questions sur la capacité de la Chine à conserver sa position dominante. Le poids de la Chine dans l’indice MSCI Emerging Markets est passé de 44 % en octobre 2020 à 26 % aujourd’hui. Par ailleurs, la pondération de l’Inde est maintenant de 18 %, en hausse par rapport à 9 %, celle de l’Amérique latine est de 9 %, et l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis et le Koweït représentent collectivement 7 %.
L’Inde devrait devenir la troisième économie mondiale d’ici 2026 et le troisième plus grand marché boursier d’ici 2030. Le gouvernement du premier ministre indien Narendra Modi a établi un plan d’action pour faire croître la taille de l’économie à 5 billions de dollars américains d’ici 2026, ce qui permettrait à l’Inde de se classer devant le Japon et l’Allemagne et derrière les États-Unis et la Chine. Les marchés des capitaux de l’Inde progressent également, stimulés par une série de PAPE et un flux constant de sociétés fermées qui finiront par être prêtes à s’inscrire en bourse.
Une évolution significative observée en Inde au cours de la dernière décennie a été l’explosion du nombre de personnes disposant de ressources financières suffisantes pour ouvrir des comptes bancaires et investir. Depuis 2018, les actifs sous gestion des fonds communs de placement ont quintuplé – ce qui est plus du double de la croissance des dépôts bancaires – et le nombre de titulaires de parts de fonds communs de placement a grimpé à 140 millions. Les régimes d’investissement systématique ont contribué grandement à la croissance de l’épargne des ménages, en particulier des épargnants fortunés.
Les pays autres que la Chine revêtent une importance de plus en plus manifeste au sein de l’économie mondiale et de l’indice de référence des actions des marchés émergents. Le Vietnam et d’autres pays latins viendront renforcer les gains récents des producteurs de pétrole du Moyen-Orient et des exportateurs de l’Asie du Sud-Est. L’Arabie saoudite, par exemple, devrait voir sa pondération dans l’indice de référence des marchés émergents doubler pour s’établir à 9 % d’ici 2027, alors que les limites de propriété étrangère seront abolies et que le nombre de PAPE augmentera.
Nous estimons donc qu’il existe suffisamment de facteurs favorables aux actions des marchés émergents pour qu’elles maintiennent leur rendement, alors que l’influence de la Chine sur l’indice s’estompe.