Les investisseurs en titres à revenu fixe obtiennent de solides rendements depuis octobre, du fait que les anticipations de baisse des taux ont fait descendre les rendements des obligations. Nous sommes d’accord sur le fait que les taux directeurs devraient décliner cette année, mais nous pensons que les investisseurs pourraient être déçus s’ils attendent trop de la part des banques centrales. Bien que le taux de 4 % offert par les obligations du Trésor à 10 ans soit attrayant, les gains des derniers mois signifient que les chances de dégager d’énormes rendements ont diminué depuis le dernier Regard sur les placements mondiaux. Dans la publication en question, nous évoquions une forte probabilité d’obtenir des rendements compris entre 5 % et 10 % pour les obligations et une chance raisonnable de dépasser les 10 %. Nous nous attendons maintenant à ce que les porteurs d’obligations d’État obtiennent un rendement proche de 5 % au cours de la prochaine année. Nous sommes d’avis que l’inflation continuera de fléchir et que l’apaisement des marchés du travail permettra aux banques centrales d’assouplir quelque peu leurs politiques, ce qui devrait entraîner une baisse des rendements obligataires dans l’année à venir.
Certes, les rendements potentiels associés aux obligations demeurent séduisants. La partie la plus importante de cette équation est que les taux sont élevés, et que les taux élevés constituent un meilleur point de départ pour les rendements. Si les taux étaient toujours au même niveau d’ici un an, les investisseurs pourraient s’attendre à des rendements de 4,1 % sur leurs placements en obligations. Des taux de départ élevés donnent une certaine sécurité au cas où les prix des obligations se replieraient. Par exemple, une hausse des taux de 1 % se traduirait par des pertes de 3 %. Ils constituent aussi un tremplin pour les rendements en cas de baisse des taux : une réduction des taux de 1 % se traduirait par des gains de 11,9 % (figure 1).
Figure 1 : Les obligations procurent de solides rendements aux investisseurs
La menace d’une inflation galopante, qui selon nous a largement influencé le rendement des obligations et des actions depuis la pandémie, est également beaucoup plus faible, et ce scénario tend à favoriser les titres à revenu fixe. Dans de nombreuses économies, la vitesse de la montée des prix s’est rapprochée de la cible des banques centrales, c’est-à-dire aux alentours de 2 % (figure 2). Le fléchissement de l’inflation mondiale, qui a connu le plus rapide déclin en 12 mois depuis 1990 aux États-Unis, montre à quel point les pressions sur les prix se sont avérées transitoires, liées aux problèmes de chaîne logistique et aux coûts de l’énergie plutôt qu’à une demande excessive. Certes, les récentes attaques contre les pétroliers de la mer Rouge et le contrôle d’une grande partie des réserves énergétiques par la Russie entraînent un risque élevé d’augmentation des prix de l’énergie. La forte croissance des salaires est aussi citée comme une raison pour laquelle l’inflation pourrait rester plus élevée, mais nous pensons que les actuelles demandes d’augmentation de salaire reflètent principalement l’inflation passée, et non des attentes de remontée des prix. À mesure que l’inflation s’apaisera, les salaires feront de même. Dans ce contexte, nous pensons que les banques centrales ont une marge de manœuvre pour réduire les taux et que les rendements obligataires pourraient baisser.
Le plus grand risque pour nos perspectives est que les pires effets du resserrement monétaire mondial soient derrière nous, et que l’économie reprenne de la vitesse. En fait, RBC GMA n’attend plus de récession cette année, et son hypothèse de base est devenue une croissance modeste. Dans ce scénario, l’économie américaine demeure positive et la croissance des économies comparables des marchés développés commence à se redresser.
En outre, les gouvernements continuent de dépenser, propulsés par l’augmentation des déficits budgétaires. Les marchés ne se sont pas montrés perturbés par l’alourdissement de la dette, en dehors d’une période d’environ trois mois à partir d’août 2023 lorsque les préoccupations budgétaires ont entraîné une forte liquidation des obligations. En dépit des déficits béants, nous ne pouvons pas anticiper d’importantes coupes dans les dépenses publiques en 2024, étant donné que des élections sont attendues dans de nombreux pays et notamment aux États-Unis. Pour l’heure, les grands déficits budgétaires demeurent un risque qui pourrait exacerber une liquidation des obligations, plutôt qu’une cause principale. Au fil du temps, l’alourdissement de la dette amènera les gouvernements à affecter une part de plus en plus grande de leurs revenus au service de la dette, au détriment de leur flexibilité pour financer les dépenses. Nous croyons que c’est un problème à régler dans le futur.
Figure 2 : L’inflation est beaucoup plus faible partout
États-Unis
L’économie américaine continue de défier les prévisions de récession. Un ensemble de facteurs, dont le déclin prononcé des rendements obligataires, la hausse des prix des actions, le ralentissement de l’inflation, les importantes dépenses publiques et la montée des salaires, ont alimenté l’activité économique au début de 2024. Toutefois, nous ne sommes pas convaincus que la croissance puisse maintenir ce rythme. À notre avis, un ralentissement pourrait survenir dans les 12 prochains mois, car l’important resserrement monétaire mis en place depuis 2022 finira par freiner l’expansion. Par ailleurs, l’épargne accumulée durant la pandémie risque de s’amenuiser, de même que les dépenses publiques. Les charges d’intérêts élevées pèsent déjà sur le marché du logement et sur l’investissement des entreprises, et nous croyons qu’elles se traduiront tôt ou tard par une hausse du chômage et une récession. Bien que les prix à la consommation aient grimpé à un rythme légèrement supérieur à la cible de 2 % de la Réserve fédérale américaine (Fed) l’année dernière, ils n’ont augmenté que de 1 % au cours des trois à six derniers mois. Nous pensons donc que la Fed est encline à assouplir sa politique par rapport au niveau actuel, qui selon elle est restrictif pour l’activité économique. Nous prévoyons que la fourchette cible du taux des fonds fédéraux baissera à 4,00-4,25 % au cours des 12 prochains mois, contre 5,25-5,50 % en ce moment, et que les réductions commenceront au deuxième semestre de 2024. Nous attendons également un déclin des taux des obligations du Trésor américain, avec des rendements obligataires sur 10 ans en baisse à 4,00 % au cours de la prochaine année, comparativement à 4,25 % au moment où nous écrivons.
Zone euro
Contrairement aux États-Unis, l’économie de la zone euro connaît une croissance très faible. Au cours de la dernière année, le PIB de la zone de la monnaie unique n’a augmenté que de 0,1 %, soit sa pire progression annuelle depuis les profondeurs de la crise de la dette souveraine de la région au début des années 2010 (à l’exception de la période de COVID-19). De plus, l’inflation s’est avérée beaucoup plus persistante qu’aux États-Unis, ce qui nous a amenés à croire que les risques de stagflation sont plus élevés dans la zone euro.
Toutefois, les vulnérabilités économiques de la zone euro masquent d’importantes divergences entre les pays membres. L’Allemagne, sans l’ombre d’un doute, a dû faire face à des coûts énergétiques beaucoup plus élevés et à une demande anémique de la Chine. En revanche, l’Espagne et l’Italie ont affiché une croissance robuste, et les marchés du travail demeurent tendus dans ces pays. Nous croyons que leur situation est comparable à celle des États-Unis où les largesses budgétaires ont alimenté la croissance. En Europe, cependant, c’est l’UE elle-même qui a ouvert le robinet des dépenses pour financer divers projets européens, et non les gouvernements nationaux. L’Italie et l’Espagne ont reçu des sommes gigantesques en pourcentage du PIB. En revanche, l’aide à Allemagne a été faible, car ce pays est jugé comme relativement riche. Les économies placées sous l’égide de la Banque centrale européenne (BCE) ont des besoins différents, ce qui constitue un problème perpétuel et implique des solutions politiques très différentes les unes des autres.
La croissance des salaires européens a probablement atteint un sommet, mais elle reste beaucoup trop élevée avec un taux compris entre 4 % et 5 %. Maintenant que l’inflation a fléchi, nous pensons que les demandes d’augmentation de salaire se calmeront également. Au vu de la forte proportion de travailleurs syndiqués, nous nous attendons à une série de négociations retentissantes au printemps. Nous estimons peu probable que la BCE réduise ses taux directeurs avant d’avoir la certitude que l’apaisement des pressions sur les prix se reflète dans les attentes salariales. En fin de compte, un ralentissement de l’économie et un fléchissement de l’inflation pourraient inciter la BCE à réduire ses taux plus tard cette année, et nous pensons que le taux des dépôts passera de 4,00 %, son niveau actuel, à 2,25 % dans un an. Les rendements des obligations d’État allemandes à 10 ans reflètent déjà une grande partie de la baisse des taux attendue, et nous prévoyons à peu près le même taux de 2,35 % dans un an.
Japon
Nous pensons que le Japon connaît ses plus fortes pressions sur les prix depuis plusieurs décennies. Les articles qui constituent un point de référence important pour les consommateurs, comme le bol de ramen, ont vu leurs prix s’envoler – après plusieurs années de stabilité. Parmi les pays développés du G7, ce sont probablement les travailleurs japonais qui connaîtront la plus forte croissance des salaires.
La Banque du Japon a fait part de son intention de resserrer sa politique en autorisant une hausse des rendements des obligations d’État, et nous pensons que cette normalisation se poursuivra cette année. Le taux directeur de la Banque du Japon pourrait s’élever au-dessus de zéro pour la première fois depuis 2016. Nous prévoyons que le taux d’intérêt de référence atteindra 0,10 % à un moment donné au cours des 12 prochains mois. Nous attendons également une hausse des rendements obligataires, et pensons que le rendement des obligations d’État japonaises à 10 ans s’élèvera à 1,00 % au cours de l’année à venir.
Canada
La Banque du Canada a décidé de maintenir son taux directeur à 5,00 % en mars, ce qui marque la cinquième réunion consécutive pendant laquelle les décideurs laissent les taux inchangés. La Banque du Canada rechigne toujours à baisser les taux, bien que l’inflation annuelle ait chuté à 2,9 % en janvier 2024, comparativement à 8,1 % en juin 2022 dans un contexte de croissance économique affaiblie. Les décideurs ont déclaré que les taux directeurs étaient serrés de façon à maîtriser l’inflation, mais qu’il fallait encore faire preuve de patience, car les données économiques meilleures que prévu étaient en grande partie attribuables à l’immigration. Toutefois, le taux de chômage a augmenté de 0,8 point de pourcentage depuis 2022, et l’économie canadienne croît moins vite que le bassin de travailleurs. Au Canada, l’économie par habitant s’est considérablement contractée au cours des dernières années, tandis que la productivité est en
déclin – ce qui constitue un évènement rare et déconcertant. La Banque du Canada ne dispose pas d’outils pour mettre en place des changements structurels capables de stimuler la productivité. Elle ne contrôle pas non plus l’immigration, et elle ne peut pas construire de maisons. En fait, les efforts de la Banque du Canada pour freiner l’inflation à l’aide de taux directeurs plus élevés sont devenus les principaux facteurs d’inflation, car ils ont provoqué une hausse des coûts hypothécaires et des loyers. Nous pensons que cette situation poussera la Banque du Canada à réduire ses taux dans un avenir proche, à condition que l’inflation continue de descendre vers sa cible de 2 %. Si les progrès vers une inflation de 2 % surpassent les attentes de la Banque du Canada, les décideurs réduiront probablement les taux d’intérêt au-delà de nos prévisions.
Royaume-Uni
Le Royaume-Uni a terminé 2023 en récession, après plusieurs trimestres consécutifs de ralentissement économique. L’activité intérieure a été médiocre, car les entreprises ont subi une baisse de la demande des ménages combinée à une hausse des prix. L’inflation représente deux fois la cible de 2 % de la Banque d’Angleterre, après une envolée des prix à la consommation de 4 % en janvier d’une année sur l’autre. L’inflation des services dépasse 6 %, impactée par la forte augmentation des salaires des employés. Les taux d’inflation élevés signifient que la Banque d’Angleterre a pris beaucoup de temps avant de se décider à assouplir ses taux directeurs. Cette faiblesse économique persistante est aussi un contrecoup de la sortie de l’UE au début de 2020, date où le Royaume-Uni a perdu ses principaux partenaires commerciaux, et le malaise qui en découle est quelque chose que la politique monétaire ne peut pas vraiment résoudre. Nous pensons que la conjoncture économique continuera de se détériorer au cours de la prochaine année, avec pour conséquence un affaiblissement du marché du travail et un ralentissement des augmentations de salaire. Selon nous, l’inflation ralentira suffisamment pour que la Banque d’Angleterre abaisse son taux directeur à 4,25 % au cours des 12 prochains mois, contre 5,25 % actuellement. Nous pensons que les perspectives économiques à long terme du Royaume-Uni sont parmi les pires du monde développé. Le pays connaîtra probablement une inflation plus élevée et plus persistante que ses pairs, ainsi qu’une croissance plus faible, d’autant plus que les compétences de sa classe politique soulèvent des questions. Ces préoccupations devraient empêcher les taux des obligations d’État britanniques de baisser autant que ce que l’on pourrait attendre dans un contexte de déclin des taux directeurs. Nous prévoyons un taux des obligations d’État britanniques à 10 ans de 4,00 % dans un an, soit un peu moins que le taux de 4,10 % auquel elles se situent actuellement.
Perspectives régionales
Nous surpondérons les obligations d’État américaines et sous-pondérons les obligations d’État japonaises. Selon nous, les taux de départ élevés et la perspective de baisses des taux au cours des 12 prochains mois aux États-Unis pourraient signifier que les obligations du Trésor américain surpasseront leurs homologues japonaises. En revanche, nous attendons un resserrement de la politique de la Banque du Japon qui devrait stimuler les rendements obligataires et se solder par des rendements relativement décevants.