Dan Chornous, chef des placements, fait part de ses perspectives pour les marchés des capitaux.
Transcription
Quelles sont vos perspectives pour l’économie ?
À la mi-février 2020, l’économie est entrée dans une profonde récession alors que des mesures de confinement ont été prises partout dans le monde. D’une certaine manière, cette récession se distingue de toutes celles qui l’ont précédée. Elle découle en quelque sorte de mesures administratives. Malheureusement, il est impossible de revenir à une forte croissance dans l’immédiat, mais les activités en cours laissent entrevoir une lumière au bout du tunnel. Le contexte demeure particulièrement mauvais, alors que les gouvernements, les entreprises et les familles cherchent à concilier la menace sanitaire et le désir d’un retour à la normale.
Je crois que plusieurs facteurs entreront en ligne de compte. Le premier sera l’accessibilité d’un éventuel vaccin ou des médicaments appropriés. La capacité des entreprises à s’adapter à la nouvelle normalité constitue un défi pour nous tous. Dans le cas de notre entreprise — et de la vôtre, j’en suis sûr —, nous essayons de trouver la bonne façon de concilier la menace sanitaire et notre volonté de ramener nos employés dans nos établissements afin de retrouver notre productivité habituelle.
Bien sûr, il existe des menaces qui vont au-delà de la COVID-19. Nous n’en parlons pas en raison du degré de risque et d’incertitude qui s’y rattache. Toutefois, leur présence n’en est pas moins réelle, et les économies et les marchés devront y faire face. Les relations commerciales entre les États-Unis et la Chine sont dans un état lamentable. En temps normal, cette question retiendrait toute notre attention. Le Brexit n’est pas encore terminé. L’élection présidentielle aux États-Unis aura lieu cet automne. Bref, l’économie doit composer avec de nombreux éléments, en plus de supporter le fardeau de la pandémie.
En 2020, la croissance mondiale dénotera un immense creux au milieu de l’année. Et même si nous avons démarré l’année relativement en force, et que nous espérons terminer l’année dans une meilleure posture que celle où nous sommes en ce moment — ce qui devrait arriver selon moi —, nous estimons que l’économie mondiale connaîtra une croissance avoisinant 4,6 % en 2020.
Un vaste ensemble de mesures budgétaires et monétaires ont été annoncées. Lorsqu’elles seront toutes mises à exécution et que nous retournerons au travail, 2021 pourrait s’avérer une année exceptionnelle sur le plan de la croissance. Pour l’instant, nous prévoyons une reprise de l’ordre de 6,3 %. J’examine les tableaux de l’évolution économique depuis de très nombreuses années, et, chose remarquable, lorsqu’on ajoute aux taux de croissance trimestriels des cinq, dix, 20 ou 50 dernières années les résultats des années 2020 et 2021, les statistiques précédentes se retrouvent dans une bande très étroite, suivie de ces immenses aberrations que sont la dégringolade de 2020 et la remontée massive prévue pour 2021.
Quelle a été la réaction des gouvernements et des banques centrales à la pandémie ?
À en juger par leur réaction, les gouvernements du monde entier ont tiré d’importantes leçons de la crise financière de 2008 et de 2009, la plus importante étant d’agir avec rapidité et avec force. Ce qui importe, c’est de s’assurer que les problèmes de liquidité qui surviennent toujours lors des crises ne s’aggravent pas ni ne perdurent au point d’engendrer des problèmes de solvabilité. À cet égard, les États-Unis et d’autres pays dans le monde ont été exemplaires.
Tout d’abord, la Réserve fédérale américaine a abaissé le taux directeur à près de zéro en l’espace de quelques jours. Peu de temps après, des mesures de stimulation budgétaire totalisant près de 3 billions $ ont été déployées sous la forme de programmes visant à aider les familles, les entreprises et le milieu de la santé. Combinées, ces mesures ont une valeur colossale, qui représente plus ou moins 35 % du PIB, et qui est nettement supérieure à celle de tous les programmes très efficaces mis en œuvre en 2008.
Et la situation n’est pas propre aux États-Unis. Nous savons bien sûr que le Canada a injecté d’énormes doses de stimulation budgétaire et monétaire. C’est aussi le cas de l’Europe et d’autres régions du monde. Combinées, ces politiques visant à rétablir la liquidité sur les marchés inspirent la confiance des investisseurs. Au bout du compte, elles engendreront presque une reprise en « V » depuis les creux profonds observés sur les marchés. Et surtout, elles ouvriront la voie à la reprise finale le moment venu.
Que prévoyez-vous pour les titres à revenu fixe ?
Cette période a été particulièrement remarquable pour les titres à revenu fixe. À un certain moment en mars, les taux des obligations du Trésor, qui établissent la norme dans le monde, ont plongé à seulement un tiers de 1 %, soit 31 points de base. C’est le taux le plus bas en 150 ans. Il s’agit donc d’un jalon assez significatif. Et il est peu probable que ce taux remonte aussi rapidement. Nos modèles d’évaluation indiquent que le marché des obligations est très cher et que les taux devraient augmenter un peu dans les mois et années à venir.
Toutefois, nous savons que les banques centrales seront enclines à maintenir la faiblesse des taux d’intérêt sur toute la courbe afin d’assurer la réussite de la reprise économique. Les années 2008 et 2009 nous ont aussi appris que même après un rebond de l’activité économique, les banques centrales voudront être très prudentes et laisser les taux à des niveaux possiblement historiques pendant une période plus longue que dans d’autres circonstances. Je crois donc que nous devons nous habituer à une réalité où les taux à court terme et les taux obligataires à long terme seront faibles pendant très longtemps.
Les marchés du crédit ont réagi à la crise de la COVID-19 plus comme les marchés boursiers que comme les marchés des obligations d’État. Alors que les obligations ont été achetées par les banques centrales et ont fait l’objet d’une ruée vers la qualité, les marchés du crédit ont répondu initialement aux risques de défaillance alors que des entreprises fermaient leurs portes. Bien entendu, grâce aux programmes de soutien mis en place avant le 23 mars, la reprise des cours a été très vigoureuse et soutenue.
Au début de 2020, les marchés du crédit se trouvaient dans un état de vulnérabilité. Les écarts étaient plutôt serrés. Sous l’impulsion de la COVID-19, ces écarts se sont considérablement élargis, autant en raison de la hausse des taux d’intérêt des obligations de sociétés que de la baisse des taux d’intérêt des obligations d’État. Les primes de risque sont ainsi devenues très avantageuses sur les marchés du crédit. Nous avons donc renforcé les positions de crédit que nous avions réduites à l’approche de 2020.
Selon vous, comment se comportent les marchés boursiers ?
Que ce soit selon l’indice MSCI Monde ou l’indice S&P 500 — autrement dit, une mesure du cours des actions mondiales ou des actions américaines —, une chute globale de 34 % a eu lieu entre le 23 février 2020, au début de la crise, et le 23 mars 2020, lorsque les banques centrales et les ministères des Finances ont commencé à présenter leurs plans de soutien. Les liquidités étaient essentiellement garanties, la menace de faillite a été repoussée, et les gens ont commencé à réévaluer les actions en conséquence. Aux États-Unis, on a observé une reprise en « V ». Plus des deux tiers de ce qui a été perdu pendant cette brève période ont été récupérés.
Cependant, c’est aux États-Unis que la reprise a été la plus forte, parce que de 40 à 50 % de l’indice du pays est lié aux technologies et aux communications, et, pendant très longtemps — presque dix ans —, une prime a été payée pour les actions de ces secteurs. Il s’agit d’actions de premier plan en raison de leur impact dans la société, qui, je crois, a été renforcé par la hausse du télétravail causée par la COVID-19. Ces entreprises sont parmi les plus grandes au monde. Elles réalisent les bénéfices les plus prévisibles, sont bien établies et ont des bilans de grande qualité. Comme nous avons pu le constater, elles ne dépendent pas d’une forte croissance à l’échelle mondiale pour atteindre leurs objectifs. Ce n’est pas le cas d’autres entreprises. Les sociétés de valeur et les sociétés de ressources ont besoin d’une meilleure impulsion dans l’économie réelle et attendent que les gens retournent au travail et que la situation se normalise.
Les autres indices à l’extérieur des États-Unis tendent à ne pas être dominés par la technologie et les communications et à privilégier davantage la valeur et les ressources. Et c’est pourquoi les États-Unis mènent le peloton. À partir de là, il est nécessaire que les États-Unis — évalués à leur juste valeur ou à leur pleine valeur — annoncent la réalisation de bénéfices pour que nous puissions en tirer avantage. Donc, nous demeurons assez neutres sur ce marché. Puisqu’ils n’ont pas été en tête de file depuis longtemps, nous entrevoyons des conditions de valorisation vraiment plus favorables et, tôt ou tard, un meilleur rendement total pour les marchés à l’extérieur des États-Unis, ce qui pourrait inclure le Canada à l’occasion. Cela dit, je crois qu’il faut attendre une conjoncture plus solide dans l’économie réelle.