Droits de douane élevés
La tempête tarifaire tant redoutée a touché terre la semaine dernière. Le 2 avril, la Maison-Blanche a annoncé que des droits de douane réciproques importants et généralisés seraient imposés à la quasi-totalité des partenaires commerciaux des États-Unis. Cette annonce a été suivie le 3 avril de droits de 25 % contre le secteur automobile.
Combinées aux initiatives précédentes, ces mesures pourraient avoir un effet dévastateur. Les droits de douane effectifs sur les marchandises sont passés d’environ 2,5 % au début du deuxième mandat du président Trump à un taux vertigineux de 22 % actuellement. Ce sont les droits les plus élevés depuis le début du XXe siècle. Ils dépassent même ceux de la loi Smoot-Hawley, tristement célèbres pour avoir intensifié et prolongé la Grande Dépression en 1930. Les risques sont maintenant plus grands, puisque le commerce international est trois fois plus important pour l’économie américaine qu’à cette époque.
Ces décisions montrent une fois de plus que l’ordre économique mondial est en train de changer, et ce, de façon plus rapide et plus marquée qu’on aurait pu l’imaginer voilà six mois. C’est la fin de la mondialisation menée par les États-Unis. Cela dit, les autres quatre cinquièmes de l’économie mondiale peuvent poursuivre leurs échanges, voire resserrer leurs liens pour surmonter le choc. Cependant, l’absence du cœur du commerce mondial se fera douloureusement sentir.
Droits réciproques, prise 2
Le plan pour l’imposition des droits réciproques tant attendus semble avoir été conçu à peine quelques jours avant l’annonce du 2 avril. Il n’est donc peut-être pas surprenant que les mesures dévoilées ne constituent pas une contre-attaque sophistiquée aux droits de douane et aux taxes sur la valeur ajoutée des pays étrangers, à la sous-évaluation des monnaies et aux autres injustices perçues que le président mentionne depuis longtemps. À la place, les droits ont été établis selon une formule simple, fondée exclusivement sur l’ampleur de l’excédent commercial du pays avec les États-Unis (moyennant un taux plancher de 10 % pour les pays sans excédent commercial important).
En définitive, les droits réciproques se sont avérés plus élevés que prévu, prolongeant la tendance observée jusque-là. Comme beaucoup d’autres, nous nous attendions à ce que les droits de douane américains atteignent tout au plus 15 %. Or, ils ont grimpé à 22 %.
Curieusement, le Canada et le Mexique ne sont pas visés (nous y reviendrons) ; par contre, la plupart des autres pays sont durement touchés (voir le graphique suivant). Les droits de douane ont augmenté de 20 % contre l’Union européenne, de 24 % contre le Japon, de 25 % contre la Corée du Sud, de 26 % contre l’Inde, de 31 % contre la Suisse, de 36 % contre Taïwan et de 34 % contre la Chine (soit une hausse totale de 54 % au cours des deux derniers mois). Les économies asiatiques se voient infliger des droits particulièrement élevés en raison de leurs importants excédents commerciaux avec les États-Unis.
Les exportations de certains pays vers les États-Unis sont considérables
En fin de compte, les pays qui subiront les pires dommages sur le plan économique sont ceux a) dont les échanges commerciaux avec les États-Unis sont les plus importants ; et b) qui sont assujettis à des droits substantiels (voir le graphique suivant ; la première variable est multipliée par la seconde pour déterminer l’impact théorique le plus dévastateur). Le Vietnam arrive largement en tête de liste, suivi par la Thaïlande, Taïwan et la Malaisie, la Corée du Sud se classant un peu plus loin. Cela dit, nous continuons de souligner que la plupart des pays ont des échanges commerciaux suffisamment limités avec les États-Unis pour que leurs économies puissent surmonter l’incidence des droits de douane.
Les pays asiatiques sont les plus durement touchés par les droits réciproques
Bien entendu, les conséquences seront lourdes pour les États-Unis, puisqu’ils sont la contrepartie de chacun de ces pays. En outre, les droits de représailles envisagés aggraveront les dommages.
Les droits réciproques sont structurés de la façon suivante : un droit de base initial de 10 % qui entre en vigueur le 5 avril, le droit additionnel devant être appliqué à compter du 9 avril. Il semblerait que les pays pourraient parvenir à négocier l’élimination de la majeure partie des droits de douane, mais que le taux de base serait maintenu.
L’échange de services, qui représente 25 % du commerce international avec les États-Unis, est à peine évoqué. Les services semblent donc exemptés de droits réciproques. Cette exemption s’explique probablement en partie par le fait qu’il est difficile d’en taxer l’importation (étant donné qu’ils ne transitent pas physiquement aux postes frontaliers) et en partie par les importants excédents commerciaux de services que les États-Unis affichent avec la plupart des pays. Par conséquent, le taux global des droits de douane américains sur les biens et services est légèrement inférieur à 22 %, avoisinant plutôt 17 %.
Les produits énergétiques (pétrole, gaz naturel, etc.), les métaux précieux, y compris l’or, les semi-conducteurs, certains minéraux essentiels et certains produits du bois d’œuvre sont également exemptés des nouveaux droits réciproques. Dans plusieurs cas, la Maison-Blanche prévoit appliquer des droits sectoriels plus tard. Dans le cas de l’énergie, l’exemption est motivée par le fait que les ménages ne veulent pas de hausse des prix.
Hausse des droits visant le secteur automobile
Des droits de 25 % contre le secteur automobile ont été activés à minuit le 3 avril.
Un droit additionnel de 25 % sera appliqué aux automobiles et aux pièces importantes, comme les moteurs, les transmissions, les pièces de groupe motopropulseur et les composants électriques ; le Canada et le Mexique en sont toutefois exemptés. Ce droit s’ajoute à celui de 2,5 % applicable aux pays qui n’ont pas conclu d’accord commercial avec les États-Unis. Le nouveau taux effectif s’établit donc à 27,5 %. Les pays qui en pâtiront le plus sont le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Le Canada et le Mexique sont également concernés, mais les modalités sont plus complexes. Les véhicules automobiles qui ne sont pas conformes à l’Accord États-Unis–Mexique–Canada (AEUMC) sont assujettis au droit de 25 %. Les règles de l’AEUMC sont strictes ; elles exigent, entre autres, un contenu nord-américain d’au moins 75 %. Or, comme la taxe n’était que de 2,5 %, une grande partie des automobiles exportées en Amérique du Nord n’étaient pas officiellement conformes à l’AEUMC. Par conséquent, une fraction importante des ventes du secteur automobile sera probablement assujettie à cet élément du nouveau régime tarifaire.
D’après les estimations de S&P Global, le tiers de la production de véhicules légers en Amérique du Nord pourrait cesser durant la semaine qui suivra l’entrée en vigueur des droits de 25 %, la proportion augmentant fortement au cours des semaines suivantes.
Par ailleurs, la valeur ajoutée non américaine des automobiles que le Canada et le Mexique exportent aux États-Unis est soumise à un droit de 25 %, même si ces produits sont conformes à l’AEUMC. En fin de compte, le droit de 25 % vise toutes les exportations du secteur automobile vers les États-Unis, à l’exception de certaines pièces qui sont réexpédiées aux États-Unis.
Pour le moment, les pièces d’automobile sont exemptées, mais elles devraient être soumises à un traitement similaire en mai, une fois qu’un système sera mis en place pour suivre précisément l’origine des différentes composantes.
Par conséquent, les droits de douane imposés au secteur de l’automobile frappent le Canada et le Mexique de plein fouet. Les répercussions commencent déjà à se matérialiser. Ainsi, la production est temporairement interrompue dans les usines de montage de Windsor, au Canada, et de Toluca, au Mexique.
Ces modifications feront grimper le prix d’une bonne partie des véhicules américains, une hausse de l’ordre de 10 % à 12 % pour une voiture moyenne.
D’après les estimations de S&P Global, le tiers de la production de véhicules légers en Amérique du Nord pourrait cesser durant la semaine qui suivra l’entrée en vigueur des droits de 25 %, la proportion augmentant fortement au cours des semaines suivantes. Certains constructeurs automobiles se plient à la volonté des États-Unis de rapatrier la production automobile. C’est notamment le cas de Hyundai qui a promis un nouvel investissement de 21 milliards de dollars américains aux États-Unis.
Ces modifications feront grimper le prix d’une bonne partie des véhicules américains, une hausse de l’ordre de 10 % à 12 % pour une voiture moyenne. La hausse pourrait se répercuter sur les consommateurs un peu plus tard, étant donné que les concessionnaires ont constitué des stocks de véhicules neufs pour plusieurs mois. Néanmoins, les prix pourraient quand même monter entre-temps si une pénurie est attendue.
Le rapatriement intégral de la production aux États-Unis exigerait des investissements massifs et plusieurs années d’efforts. En fin de compte, il entraînerait une hausse des prix des véhicules et une diminution de la qualité et du choix aux États-Unis. La demande de véhicules américains augmenterait probablement aux États-Unis, puisque les marques étrangères seraient écartées. Toutefois, elle diminuerait simultanément dans les autres pays.
Suppression des exemptions de minimis
Après un faux départ il y a quelques mois, l’accès détourné aux consommateurs dont la Chine profitait jusqu’ici sera également supprimé le 2 mai.
Auparavant, l’exemption de minimis autorisait l’envoi de marchandises d’une valeur inférieure à 800 $ US directement aux consommateurs américains, sans contrôle douanier ni droit. Cette exemption, mise en place dans les années 1930, visait à alléger le fardeau des douanes en accélérant le traitement des marchandises de faible valeur. Le montant de l’exemption a quadruplé depuis 2016 (il était alors de 200 $ US).
La Réserve fédérale de New York a estimé que les marchandises chinoises entrant aux États-Unis en vertu de cette exemption pourraient représenter plus de 100 milliards de dollars américains par année. Pour l’exercice 2024, pas moins de 1,36 milliard d’expéditions, tous pays confondus, ont profité de l’exemption, dont 67 % à 75 % provenant de la Chine, selon les estimations. Environ 83 % de toutes les importations liées au commerce électronique aux États-Unis bénéficient de l’exemption de minimis.
Pour mettre les choses en perspective, il convient de signaler que d’autres pays font souvent l’objet d’exemptions de minimis, mais celles-ci se situent habituellement à un niveau de valeur beaucoup moins élevé.
L’exemption de minimis demeure en vigueur pour d’autres pays. À court terme, on pourrait imaginer une flambée de ce type d’exportations provenant d’autres pays, comme le Vietnam et la Thaïlande. Elles permettraient de contourner la nouvelle restriction visant la Chine ainsi que les nouveaux droits de douane substantiels infligés à ces pays.
Cependant, les États-Unis envisagent de supprimer l’exemption de minimis pour tous les pays, une fois qu’ils auront trouvé le moyen de gérer efficacement le fardeau logistique qui accompagnera ce changement. Les responsables des douanes affirment que ces colis exemptés permettent également l’importation sans encombre de stupéfiants illégaux et de produits de contrebande aux États-Unis.
Pour mettre les choses en perspective, il convient de signaler que d’autres pays font souvent l’objet d’exemptions de minimis, mais celles-ci se situent habituellement à un niveau de valeur beaucoup moins élevé. Le seuil pour le Royaume-Uni est de 135 £, alors qu’il n’est que de 20 $ CA dans le cas du Canada et l’équivalent de seulement 7 $ US pour la Chine. L’Union européenne (UE) a récemment supprimé cette exemption. Le cas de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande est davantage comparable à celui des États-Unis, avec des seuils relativement élevés de 1 000 dollars australiens et néo-zélandais, respectivement.
Qu’en est-il du Canada (et du Mexique) ?
Outre leur ampleur, l’autre grande surprise dans le cadre de l’annonce des droits de douane réciproques est le fait que le Canada et le Mexique n’étaient pas ciblés.
Cette décision bienvenue contredit pourtant nettement la déclaration de la Maison-Blanche faite le 6 mars. À ce moment-là, les marchandises conformes à l’AEUMC avaient été temporairement exemptées d’une taxe générale de 25 % jusqu’au 2 avril. L’exemption avait été présentée comme étant expressément destinée à donner au secteur automobile le temps de s’adapter. Ironiquement, des droits de douane s’appliquent maintenant au secteur automobile (ce qui implique que la période d’ajustement pour ce secteur est terminée), mais l’exemption motivée par le secteur automobile demeure, d’une façon ou d’une autre.
Éviter complètement les droits de douane réciproques ne semblait même pas être une possibilité – on s’attendait au moins à de nouveaux droits de douane généraux substantiels à l’encontre du Canada et du Mexique, tout en espérant dans une certaine mesure qu’ils seraient inférieurs aux droits de 25 % qui avaient été momentanément mis en place le 4 mars. Soit dit en passant, la formule utilisée par la Maison-Blanche pour calculer ses droits de douane réciproques se serait traduite par un droit additionnel de 8 % à l’encontre du Canada (probablement arrondi à 10 % comme pour tous les autres pays) et un droit de 17 % pour le Mexique.
Au lieu de cela, aucun nouveau droit de douane n’a été imposé et le taux tarifaire cumulatif imposé par les États-Unis à l’égard du Canada se situe dans la fourchette de « seulement » 5 % à 10 % après prise en compte des répercussions des droits de 25 % un large éventail d’exportations canadiennes, notamment :
l’acier et l’aluminium;
la partie à valeur ajoutée canadienne des véhicules;
toutes les marchandises non conformes à l’AEUMC;
un droit de 10 % sur l’énergie et la potasse non conformes à l’AEUMC.
Cette combinaison hétéroclite fait encore des dégâts économiques et inflationnistes (et de lourds dégâts dans les secteurs directement ciblés), mais moins qu’on le craignait.
Pourquoi le Canada et le Mexique ont-ils évité les droits de douane réciproques ?
Il existe plusieurs théories pour expliquer pourquoi le Canada et le Mexique ont évité les droits de douane réciproques.
Selon l’une d’entre elles, il aurait été illégal d’imposer des droits de douane réciproques aux deux pays en raison de l’accord commercial entre les États-Unis, le Mexique et le Canada. Mais cette théorie ne tient pas la route, étant donné que les États-Unis ont déjà frappé les deux pays d’une série de droits de douane. Par ailleurs, la Maison-Blanche utilise les mêmes arguments d’urgence et de sécurité nationales pour les droits de douane réciproques que pour l’imposition des droits précédents.
Enfin, d’autres pays ont été frappés de droits de douane réciproques malgré l’existence d’accords de libre-échange avec les États-Unis. Il s’agit notamment de l’Australie, de Singapour, de la Corée du Sud et d’une grande partie des Antilles, de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud.
Les droits de douane visant le Canada et le Mexique ont peut-être été suspendus jusqu’à ce que l’AEUMC puisse être renégocié comme il se doit. À ce stade, ces négociations sont plus susceptibles d’accroître les barrières commerciales au moyen de nouvelles restrictions que de les éliminer.
Selon une autre théorie, le président Trump aurait été persuadé de favoriser le Canada et le Mexique à la suite d’entretiens privés avec les dirigeants des deux pays. Il semble bien aimer la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum, et Trump a décrit son premier entretien avec le nouveau premier ministre canadien Mark Carney comme « extrêmement productif », ajoutant que le Canada et les États-Unis étaient « d’accord sur de nombreux points ». C’est possible.
Il est possible, mais peu vraisemblable, que le Canada ait obtenu un sursis temporaire afin que le pays puisse tenir ses élections nationales, le 28 avril. Les négociations d’ici là pourraient être vaines si le contrôle du Parlement canadien passait aux mains d’un autre parti. Cette théorie est probablement trop charitable et n’explique pas pourquoi le Mexique a aussi évité les nouveaux droits de douane.
Il est possible que la Maison-Blanche ait reconnu que l’économie américaine subirait trop de dommages si elle imposait d’un seul coup des droits de douane importants au monde entier, et qu’elle ait exempté deux de ses trois grands partenaires commerciaux, soit le Mexique et le Canada. Cela pourrait être vrai, même on n’aurait pas choisi le Mexique et le Canada comme bénéficiaires de cette clémence relative, compte tenu de la rhétorique des derniers mois.
La Maison-Blanche a peut-être reconnu tardivement que, malgré tous ses commentaires incendiaires à l’encontre des deux pays au cours des derniers mois, le Canada et le Mexique ont érigé des barrières commerciales minimales à l’égard des produits américains comparativement à la norme internationale.
Enfin, et c’est peut-être l’explication la plus plausible, les droits de douane visant le Canada et le Mexique ont peut-être été suspendus jusqu’à ce que l’AEUMC puisse être renégocié comme il se doit. À ce stade, ces négociations sont plus susceptibles d’accroître les barrières commerciales au moyen de nouvelles restrictions que de les éliminer. Ces négociations sont officiellement prévues à compter du 1er juillet 2026 – six ans après l’entrée en vigueur de l’accord commercial – mais les véritables renégociations auront probablement lieu plus tôt.
Le Canada n’est pas tiré d’affaire
En se concentrant sur le Canada pendant un moment, on ne peut pas dire que le pays est tiré d’affaire. Il fait face à un nouveau taux moyen de droits de douane des États-Unis d’environ 5 à 10 %. Voilà qui pose problème pour une économie dont les exportations vers les États-Unis représentent 20 % du produit intérieur brut (PIB).
En outre, les droits de douane sur l’acier et l’aluminium touchent le Canada plus que tout autre pays. Leur portée est beaucoup plus large que les droits équivalents mis en œuvre en 2018 (et levés en 2019).
Le Canada est aussi l’un des pays les plus touchés par les droits de douane sur le secteur de l’automobile. Par ailleurs, nous avons été étonnés d’apprendre que plus de 60 % des exportations canadiennes vers les États-Unis n’étaient pas conformes aux règles de l’AEUMC, laissant croire qu’une grande partie des exportations canadiennes seraient assujetties aux droits de douane de 25 %. Il semble que cette non-conformité ait en grande partie été corrigée depuis, puisque les formalités ont été remplies pour la plupart des produits qui sont maintenant conformes à l’AEUMC. Cependant, l’incidence des droits de douane de 25 % sur les produits non conformes à l’AEUMC n’est probablement pas nulle.
À l’avenir, le Canada sera touché de façon disproportionnée par les droits de douane sectoriels prévus sur les produits du cuivre et de la foresterie, ainsi que par les possibles droits de douane sur le secteur pharmaceutique, quoique dans une moindre mesure.
Il est tout aussi important de noter que les relations commerciales risquent de se détériorer :
Les droits de douane surprise et les volte-face connexes ont été presque constants, et il serait donc extrêmement naïf de penser que les dispositions actuelles représentent la forme définitive de l’imposition des droits de douane.
Il est difficile de comprendre comment le Canada et le Mexique ont pu passer d’adversaires numéro un et deux à amis numéro un et deux en l’espace de quelques jours.
Le meilleur moment pour imposer d’autres droits de douane au Canada et au Mexique sera manifestement juste avant le début des renégociations de l’AEUMC, afin d’obtenir le meilleur rapport de force.
Durant le discours d’annonce des droits de douane réciproques, le président Trump a bien formulé ses reproches contre le secteur laitier canadien.
De façon plus générale, les États-Unis ont encore de nombreux griefs à l’encontre du Canada. Ils comprennent non seulement à l’égard des secteurs de la gestion de l’offre, comme celui des produits laitiers, mais aussi de la sécurité à la frontière, des dépenses militaires, de la taxe sur les services numériques du pays, de l’excédent commercial du Canada par rapport aux États-Unis, peut-être des taxes à la consommation à valeur ajoutée du Canada, possiblement de la faible valeur du dollar canadien, des règles sur la production des composants automobiles, de l’accès au secteur des services financiers, etc. (voir le tableau suivant, indiquant les probabilités que le Canada s’y conforme).
Nous anticipons donc toujours un relèvement des barrières commerciales contre le Canada et le Mexique, même s’ils ont évité de justesse le dernier violent coup.
Droits de douane de représailles
Les pays continuent de réagir par diverses stratégies, certains répondant du tac au tac, d’autres se montrant plus prudents en se concentrant d’abord sur les négociations.
La Chine a réagi en imposant des droits supplémentaires de 34 % sur les produits américains, ce qui correspond exactement à la mesure prise par les États-Unis à son encontre. Les États-Unis menacent maintenant aussi d’imposer des droits de douane supplémentaires, ce qui risque d’enclencher un cercle vicieux.
Le Canada a imposé des droits de douane sur la composante à valeur ajoutée de ses importations du secteur américain de l’automobile, à hauteur des mesures prises par les États-Unis contre le Canada.
Après avoir appliqué des droits de douane de représailles en réponse à différentes mesures déjà prises par les États-Unis, l’Union européenne propose maintenant une approche de suppression qui consiste à désamorcer la situation grâce à la réduction des droits de douane sur les produits industriels par les deux parties. Il s’agit d’une stratégie que de nombreux pays envisagent probablement, car les droits de douane américains dépassent maintenant tellement les leurs que toute entente visant à tous les éliminer entraînerait une baisse marquée de ceux qui sont appliqués par les États-Unis contre seulement une légère baisse de ceux qui sont appliqués à leur encontre. Plus important encore, si cette stratégie réussissait, le commerce mondial serait amélioré par rapport aux niveaux d’avant 2025 plutôt qu’entravé.
De nombreux autres pays critiquent les nouveaux droits de douane américains, mais semblent plus enclins à la négociation qu’à la confrontation. Ils comprennent notamment le Vietnam, le Japon, l’Indonésie et l’Australie.
Incidence économique des droits de douane
Stagflation
C’est connu : les droits de douane concourent à la stagflation en ce sens qu’ils provoquent l’affaiblissement de la croissance économique et l’accélération de l’inflation. Évidemment, c’est regrettable, surtout quand l’inflation est déjà trop élevée et que le risque de déstabilisation des attentes est plus fort que de coutume après le récent choc inflationniste.
La stagflation fait également le mécontentement des marchés financiers : alors qu’une faible croissance nuit au marché boursier, une inflation élevée fait du tort au marché obligataire.
Un choc économique négatif fait pour durer
La plupart des chocs économiques négatifs ne sont que passagers. En d’autres termes, l’économie s’affaiblit dans des circonstances telles qu’une pandémie, une crise financière ou un ralentissement du cycle économique. On peut toutefois s’attendre à un rebond ultérieur, et il n’existe habituellement aucune raison qui justifierait une détérioration permanente de l’économie à long terme. Toute baisse finit par se transformer en hausse ultérieure. L’économie croît même plus vite qu’en temps normal pendant la phase de rattrapage liée à un retour à la normale.
En théorie, les droits de douane sont différents. Si les barrières commerciales se multiplient et que la réduction du commerce international s’installe de manière permanente, la productivité et les revenus des pays concernés s’affaibliront de manière permanente. L’économie peut encore retrouver la croissance au terme de l’ajustement initial. Il n’y a toutefois aucune raison de s’attendre à une période de rattrapage exceptionnellement rapide ultérieurement.
Du point de vue de l’investisseur, la question de savoir si les marchés financiers ont réagi de manière excessive au choc initial provoque des débats à l’ordinaire. De plus, il faut discuter activement sur le fait de savoir si ces droits de douane sont faits pour durer – voir notre discussion à ce sujet plus loin. S’ils sont permanents, rien ne permet de penser que les marchés devraient se redresser immédiatement. On s’attendrait en effet à ce que les bénéfices des entreprises suivent une trajectoire ascendante adoucie en permanence.
Du point de vue des décideurs politiques, la réaction à un choc tarifaire est également potentiellement différente. Certes, de nouvelles stimulations monétaires et mesures de relance budgétaire sont sans doute toutes deux justifiées. En théorie, la réaction devrait néanmoins privilégier le soutien budgétaire par rapport au soutien monétaire, et ce, pour deux raisons.
La politique monétaire est quelque peu conflictuelle, puisque la faiblesse de la croissance et la hausse de l’inflation donnent des signaux contraires. En définitive, ce sont sans doute les dégâts durables à la production qui importent plus qu’une hausse ponctuelle des prix, même si cela tempère encore l’ampleur de la réaction de la banque centrale.
Les droits de douane affectent l’économie de manière très inégale. L’impact varie considérablement d’un secteur à l’autre. Les sociétés du secteur tertiaire sont moins touchées que celles produisant des biens. Certains secteurs sont frappés beaucoup plus durement que d’autres selon leur intensité commerciale et la nature des droits de douane appliqués. Certaines entreprises en sortent même gagnantes en raison de l’éviction de leurs concurrents étrangers. D’un point de vue cumulatif du PIB, à chaque baisse de 1 point de pourcentage de la consommation, on peut s’attendre grosso modo à un statu quo des dépenses publiques, à un triplement (sur une base de variation en pourcentage) des dépenses en immobilisations, à une multiplication par sept de celles pour les exportations, voire par dix pour celles des importations. Le fait est que la politique monétaire est un instrument mal affûté, incapable de subvenir subtilement aux besoins d’une industrie sans provoquer de surchauffe ailleurs. La politique budgétaire se prête bien mieux à la tâche.
Pour terminer, ajoutons que l’ampleur des mesures de relance de nature quelconque devrait probablement être un peu plus limitée que d’habitude pour la raison même citée au début de cette section : puisque les dégâts provoqués à l’économie sont permanents, la marge de manœuvre pour relancer l’économie est limitée, à moins de s’engager à fournir des mesures de relance supplémentaires pour une durée indéterminée.
Les dégâts économiques des droits de douane
Ces nouvelles augmentations des droits de douane suscitent une grande incertitude quant à leurs incidences sur l’économie. Et ce, pour plusieurs raisons : l’ampleur et la durée des droits de douane ne sont toujours pas tout à fait claires. La première conséquence des droits de douane sur l’économie suscite la polémique, il peut y avoir des effets accessoires et la politique devant en découler n’est pas non plus certaine.
Se pourrait-il que l’économie américaine plonge dans une récession en raison de droits de douane élevés et durables ? Absolument. Le risque de récession a augmenté. Notons que les droits de douane de M. Trump constituent la plus importante hausse d’impôt aux États-Unis depuis 1968, de l’ordre de 2 % à 2,5 % du PIB. Cependant, nous continuons d’évaluer le risque de récession à une probabilité d’un peu moins de 50 %, peut-être 40 %. En guise de contexte, Polymarket attribue une probabilité de récession aux États-Unis de 62 % en 2025 en date du 7 avril.
Sur la base de la documentation et de plusieurs de nos propres modèles tarifaires, la tendance principale est que des droits de douane effectifs de 22 % aux États-Unis (soit en hausse d’environ 20 points de pourcentage par rapport au niveau précédent de 2,5 %) devraient faire chuter la croissance de l’économie américaine d’un taux cumulé de 1,0 % à 2,0 % au cours des prochaines années. Voilà qui est considérable, mais pas assez pour freiner complètement une économie qui aurait autrement pu croître à un rythme annuel d’environ 2,5 %. Pour l’heure, nous prévoyons que les États-Unis enregistreront une croissance économique avoisinant 1,0 % en 2025.
Si la faiblesse de ces dégâts économiques semble peu plausible, n’oublions pas que les importations ne représentent que 14 % du PIB américain et que la part des exportations dans celui-ci est encore plus faible (11 %) (voir le graphique suivant). Cela signifie qu’une part de 86 % à 89 % de l’activité économique américaine n’est pas directement touchée par les droits de douane. En outre, tant les entreprises que les ménages sont chacun incités à s’adapter aux droits de douane de manière à en réduire les perturbations le plus possible, que cela implique de modifier le lieu de production ou les produits à acheter.
Le commerce américain en proportion du PIB évolue à la baisse
Le principal risque de hausse pour cette incidence du scénario de base tient à une éventuelle réduction des droits de douane. Le calcul changerait alors entièrement. Un risque secondaire est le suivant : les dommages provoqués par l’imposition des droits de douane au cours du premier mandat de M. Trump se sont révélés relativement faibles (bien que les droits de douane aient été beaucoup moins importants que ceux de ce cycle-ci), et n’ont pas été pires que les prévisions des modèles économiques.
Le risque de baisse réside dans le fait que ces estimations négligent peut-être d’autres forces qui pourraient occasionnellement s’avérer plus défavorables :
Absence de linéarité : La plupart des modèles économiques ont été développés et calibrés à l’aide des ajustements relativement modestes des droits de douane qui se sont produits au cours des dernières dizaines d’années. Il est possible que des droits de douane élevés aient plus qu’un effet linéaire sur l’activité économique par rapport à des droits de douane réduits. À titre d’exemple, il peut y avoir des effets de seuil faisant en sorte que les budgets des ménages et l’état des résultats des entreprises peuvent absorber de petits droits de douane sans modifier grandement les comportements, alors que des droits de douane importants pourraient entraîner un bouleversement structurel des comportements et donc de l’économie.
Effet sur la confiance : Dans le même ordre d’idée que celle de non-linéarité ci-dessus, les droits de douane de faible ampleur ne détériorent pas fortement la confiance, contrairement à ceux de grande ampleur, tant pour les consommateurs que pour les entreprises. Cela peut avoir une incidence sur les décisions liées aux dépenses, à l’embauche et à l’investissement. Il pourrait en découler des rétroactions défavorables en chaîne.
Effet sur la richesse : Le recul marqué des actifs à risque, p. ex., les actions, peut persuader les acteurs économiques alors non concernés de réduire leurs dépenses en raison d’un effet défavorable sur la richesse. Il se pourrait que le marché boursier fasse fi de faibles ajustements des droits de douane, mais ce n’est pas le cas des importants droits de douane réciproques. Il pourrait aussi en découler des rétroactions défavorables en chaîne.
Boycottages : Les résidents d’autres pays commencent à boycotter certains produits américains. Cela fait plus ou moins office de droits de douane supplémentaires et pourrait réduire la croissance américaine d’environ 0,3 point de pourcentage, toutes autres choses étant égales. Voir la diminution des voyages aux États-Unis en provenance du Canada sur le graphique suivant.
Historique des droits de douane : L’issue pour l’économie a été assez déplaisante à plusieurs reprises lorsque les États-Unis ont augmenté considérablement les droits de douane, notamment en 1890, en 1922 et en 1930. Cela dit, d’autres cycles de droits de douane, y compris en 1816, en 1824, en 1828, en 1860 et en 1971, semblent avoir provoqué moins de dégâts à l’économie dans l’ensemble.
Politiques publiques : Étant donné les malheureuses circonstances de l’inflation élevée avant même l’entrée en vigueur des droits de douane, les autorités publiques américaines sont plus mal placées pour soutenir l’économie en recourant à la politique monétaire. La situation est un peu similaire sur le plan budgétaire où un énorme déficit budgétaire limite en théorie la portée de l’appui économique. Par ailleurs, puisque les fonds sont déjà provisoirement alloués à une réduction d’impôt, cela ne concourt pas particulièrement à optimiser la croissance.
Spirale des représailles : Si d’autres pays s’en prennent aux États-Unis et si ceux-ci réagissent en retour, il se peut que les droits de douane augmentent rapidement tout en provoquant encore davantage de dégâts à l’économie.
Le nombre de visiteurs en provenance du Canada aux États-Unis vient de chuter
Dégâts provoqués à l’inflation par les droits de douane
Une incertitude similaire plane sur l’incidence des droits de douane élevés sur les prix, pour plusieurs raisons similaires – voir plus haut.
À petite échelle, l’effet du Yin et du Yang se retrouve dans l’impact des droits de douane sur la production ou sur l’inflation. En effet, les consommateurs doivent choisir entre acheter moins (avec un effet accru sur l’économie) ou se résoudre à payer plus (avec un effet accru sur l’inflation). Dans la pratique, ils feront un peu des deux.
Cela dit, la distinction des effets entre ceux sur la production et ceux sur l’inflation est sans doute exagérée parce que la plupart des dégâts économiques sont en fait dus à une réduction du pouvoir d’achat : puisque tout est plus cher, les revenus réels sont effectivement plus faibles et les gens appauvris peuvent se permettre moins d’achats par conséquent.
Toutefois, des droits de douane de 25 % n’impliquent pas nécessairement une augmentation de 25 % d’un produit. Certains des surcoûts seront répartis entre le producteur étranger, le taux de change, l’importateur, le grossiste et le détaillant. Dans la pratique, les coûts se répercutent en grande partie, mais non intégralement, sur le consommateur.
La plupart des modèles économiques indiquent une hausse des prix comprise entre 0,75 % et 1,75 % aux États-Unis, compte tenu d’un tarif douanier effectif moyen de 22 %. Nous tenons à signaler que le risque pourrait être plus élevé, car cette estimation semble faible.
De plus, dans l’exemple d’une épicerie, si le coût des intrants des aliments importés augmente de 25 %, mais que le coût de la main-d’œuvre, du loyer et des autres dépenses demeure constant, cela entraîne « seulement » une augmentation de 15 % du prix des aliments importés à la charge des consommateurs. En outre, dans la mesure où seulement 15 à 20 % des produits de l’épicerie sont importés, le prix moyen de tous les aliments en vente dans l’épicerie augmente « seulement » de 2 à 3 %. Même si ce n’est pas une situation idéale, nous n’arrivons pas à 25 %. Les calculs varient énormément pour les autres secteurs, mais ils sont généralement plus favorables. Bon nombre de secteurs, en particulier ceux qui fournissent des services, subiraient très peu de répercussions directes.
Bien sûr, certains produits pourraient connaître une hausse des prix beaucoup plus importante. L’un des jeux devenus populaires est d’estimer la hausse du prix de l’iPhone, un appareil omniprésent, étant donné que la plupart de ces téléphones sont assemblés en Chine et que ce pays est maintenant soumis à des droits de douane de 54 %. Le prix pourrait bondir de 30 % à 44 % jusqu’à 2 300 $ US, contre 1 599 $ US actuellement pour un modèle haut de gamme.
La plupart des modèles économiques indiquent une hausse des prix comprise entre 0,75 % et 1,75 % aux États-Unis, compte tenu d’un tarif douanier effectif moyen de 22 %. Nous tenons à signaler que le risque pourrait être plus élevé, car cette estimation semble faible. En particulier, si le dollar américain continuait de baisser, cela pourrait intensifier l’effet inflationniste des droits de douane. Pour le moment, si l’on s’en tient aux estimations du modèle, l’indice des prix à la consommation (IPC) américain pourrait grimper d’environ 4 % au cours de la prochaine année, ce qui représente deux fois la cible du pays.
Enchaînement des impacts à court terme
Nous devons comprendre que l’incidence des droits de douane n’est ni stable ni linéaire. Selon nous, avant la mise en place des droits de douane, l’activité économique était un peu plus faible que la normale, en raison des effets négatifs de l’incertitude qui l’ont sans doute emporté sur les effets positifs liés à l’accumulation des stocks.
Entre le moment de l’annonce des droits de douane et celui de leur mise en œuvre, nous devrions observer une brève augmentation de la demande attribuable à la course des importateurs pour acquérir des produits avant que les droits de douane ne soient appliqués.
La demande devrait ensuite se tasser brusquement à mesure que les droits de douane entreront en vigueur. Une grande partie des dommages économiques s’accumuleront probablement au cours des premiers trimestres suivant l’application de ces mesures.
Impact sur le reste du monde
Il va falloir un certain temps pour réévaluer les retombées économiques pour chaque pays. Ce que nous pouvons dire, c’est que même si les perspectives de croissance sont amenées à se replier dans la plupart des pays touchés, la situation ne devrait pas ressembler à une récession pour la grande majorité d’entre eux, étant donné leur sensibilité relativement limitée au commerce avec les États-Unis en pourcentage du PIB. Bien sûr, certains secteurs pourraient être frappés individuellement.
Contrairement au reste du monde, les prévisions pour le Canada et le Mexique devraient être révisées à la hausse plutôt qu’à la baisse compte tenu de la frappe modérée à l’encontre de ces pays. En particulier, la perspective d’une récession au Canada ne semble plus aussi menaçante. Cela dit, une période de faiblesse est encore attendue en raison des dommages que les droits de douane, conjugués au fléchissement de l’économie américaine, infligeront à certains secteurs. Cependant, si des droits de douane élevés à l’encontre du Canada et du Mexique revenaient à l’ordre du jour, nous pourrions craindre un retour au scénario de récession.
Combien de temps les droits de douane dureront-ils ?
La question de savoir combien de temps ces droits de douane resteront en place (voir le graphique suivant) n’est pas moins importante que celle de leur taille et leur portée. Pour l’heure, la réponse n’est pas claire.
Examen des droits de douane en trois dimensions
Les arguments selon lesquels les tarifs pourraient rester en place pendant longtemps sont les suivants :
Le président Trump plaide en faveur des droits de douane depuis plusieurs décennies, et il estime qu’ils représentent une douleur à court terme pour un gain à long terme.
Néanmoins, s’il n’y a pas de gain net à long terme, comme nous le soupçonnons, Trump pourrait tout simplement reporter ses priorités sur la sécurité économique et le secteur manufacturier des États-Unis plutôt que sur l’expansion de l’économie.
Trump a besoin de recettes douanières pour financer les dégrèvements fiscaux qu’il propose.
Le président Trump a récemment déclaré que « ses politiques ne changeront jamais » et qu’il faudrait parvenir à un « accord phénoménal » pour justifier l’assouplissement des droits de douane.
La Maison-Blanche a de nombreux griefs contre certains pays, dont beaucoup ne sont pas prêts à être pleinement résolus (comme le recours aux taxes sur la valeur ajoutée et la valorisation des devises). En particulier, il sera difficile de faire disparaître le déficit commercial américain – un facteur d’aggravation pour les États-Unis – tant que les Américains se montreront réticents à épargner davantage et aussi longtemps que le déficit budgétaire demeurera aussi important qu’aujourd’hui.
En revanche, les arguments selon lesquels les droits de douane s’avéreront temporaires sont les suivants :
Selon de récentes rumeurs, la Maison-Blanche envisagerait une pause de 90 jours dans son programme de droits de douane. Bien que cette pause ait été réfutée depuis, il n’y a pas de fumée sans feu. L’administration actuelle a déjà retardé la mise en place des droits de douane à plusieurs reprises, et elle a levé plusieurs mesures tarifaires lors du premier mandat de Trump.
Bien que le président Trump ait fait preuve d’indulgence face à la faiblesse des marchés financiers et des projections économiques, au-delà de ce que quiconque aurait imaginé, sa tolérance a sans doute des limites.
Le président Trump a fait part de sa volonté de négocier avec certains pays comme le Vietnam. Cela montre une volonté de négocier avec tous les pays, en théorie.
Le Congrès pourrait rassembler suffisamment de voix pour promulguer une législation clarifiant que les droits de douane relèvent de la compétence du Congrès plutôt que de celle du président. Mais cet argument est particulièrement faible : le président Trump a menacé de s’opposer à une telle législation, et il faudrait donc une majorité irréaliste des deux tiers pour surmonter ce blocage.
Selon notre scénario de base, les droits de douane pourraient encore être réduits, du fait que les pays ciblés ont la possibilité de faire des concessions et que la tolérance américaine à la faiblesse économique devrait fléchir. Nous prévoyons qu’une telle réduction se produira d’ici six mois environ, bien que le délai puisse s’avérer beaucoup plus long ou beaucoup plus court. Il est peu probable que les droits de douane disparaissent complètement.
En ce qui concerne les préoccupations selon lesquelles il est extrêmement difficile de lever des droits de douane une fois qu’ils ont été appliqués, nous ne sommes pas d’accord. Cela est plus préoccupant si les droits de douane persistent pendant plusieurs années et si les secteurs sont remaniés en conséquence de la barrière de protection mise en place. Il ne devrait pas être difficile de réduire les droits de douane après quelques trimestres.
Autres considérations sur les droits de douane
D’autres droits de douane à venir ?
Des menaces de droits de douane ont été brandies à l’égard du cuivre, du bois d’œuvre, des produits pharmaceutiques et des semi-conducteurs, et plusieurs de ces mesures seront probablement appliquées. La plupart de ces produits ont été exemptés de droits de douane réciproques, ce qui, étrangement, pourrait les ramener à peu près au même niveau que les autres produits.
Nous continuons de souligner le risque d’augmentation des droits de douane contre le Canada et le Mexique.
La Maison-Blanche a également récemment menacé d’instaurer un nouveau type de droits de douane, les « droits de douane secondaires ». Cette proposition a été formulée dans le contexte du pétrole vénézuélien. Les États-Unis ont déclaré qu’ils imposeraient des droits de douane de 25 % à tout pays achetant du pétrole ou du gaz en provenance du Venezuela. En pratique, la Chine, l’Inde et l’Espagne seraient parmi les pays les plus touchés. Bien entendu, les droits de douane ne sont pas imposés sur le flux réel de pétrole du Venezuela vers ces pays, mais sur le commerce de ces pays avec les États-Unis.
Voyons si cela se produit réellement ; si c’était le cas, il y aurait de quoi s’inquiéter.
Augmentation des recettes publiques
Ces droits de douane sont susceptibles de générer des recettes douanières supplémentaires, même sur une base nette.
Le département du Trésor a estimé que les droits de douane procureront jusqu’à 600 milliards de dollars américains de recettes supplémentaires par an. Même si nous pensons que ce chiffre sera inférieur en raison d’une réduction des échanges commerciaux, l’idée que ce montant s’élèvera à plusieurs centaines de milliards est juste.
Les importateurs paieront directement pour ces droits, mais ils répercuteront ensuite une part importante de la taxe sur d’autres, la plus grande partie étant payée par les consommateurs américains.
Face à cette hausse des recettes, on trouve la diminution des recettes publiques due à une économie plus faible. Cependant, cette perte de recettes ne coûterait qu’environ 45 milliards de dollars américains, soit un gain net de recettes publiques de 550 milliards de dollars américains.
Fuite des cerveaux inversée ?
Compte tenu du durcissement des règles d’immigration, de la réduction des financements universitaires, d’un climat politique changeant et d’une économie plus faible, il n’est pas déraisonnable de se demander si des pays tels que le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et les pays membres de l’UE pourraient être en mesure de perdre moins de leurs meilleurs cerveaux, d’attirer une partie du capital humain des économies émergentes qui aurait normalement opté pour les États-Unis, et peut-être même de convaincre certains des meilleurs talents américains d’émigrer.
Des anecdotes rapportées dans les médias font état de quelques cas de ce type. Dans un contexte historique, le Canada a accueilli un nombre important de réfractaires américains pendant la guerre du Vietnam, dont beaucoup étaient très instruits et ont apporté une contribution positive au pays.
Magasinage transfrontière ?
Du point de vue canadien, les droits de douane américains élevés encourageront probablement les Américains à faire davantage de magasinage transfrontière au Canada. La faiblesse du dollar canadien pourrait également constituer une motivation supplémentaire, bien que dans une moindre mesure pour les marchandises provenant de pays tiers tels que la Chine.
Si tout, des produits d’épicerie aux appareils iPhone, devenait soudainement moins cher au Canada, un voyage dans le pays pourrait facilement se justifier avec des centaines de dollars d’économies possibles. Historiquement, le flux de magasinage transfrontière a eu tendance à aller dans la direction opposée, les Canadiens s’aventurant aux États-Unis. Les limites de franchise de 200 $ US au cours des 48 premières heures peuvent freiner cet enthousiasme, mais la conformité a toujours été imparfaite.
Plongeon des marchés financiers
Les marchés financiers ont fait part de leur extrême mécontentement face aux nouveaux droits de douane annoncés, le marché boursier S&P 500 ayant chuté de 18 % par rapport à son sommet (voir le graphique ci-dessous).
Le marché boursier s’est effondré en raison des préoccupations liées aux droits de douane
Les obligations se redressent en réponse à l’aversion pour le risque, bien que la prime de terme à la hausse témoigne d’un certain mécontentement à l’égard des obligations américaines également (voir le graphique ci-dessous) en raison du déficit important, de la dette publique élevée, de la perspective de droits de douane dommageables pour l’économie ou de l’instabilité politique générale.
La prime de terme est en hausse
Par ailleurs, le dollar américain a perdu de la valeur (voir le graphique suivant). Cela peut sembler logique compte tenu de la situation aux États-Unis, mais c’est en fait assez inhabituel. En théorie, un pays qui impose des droits de douane devrait voir son taux de change augmenter pour compenser partiellement l’effet de ceux-ci. De plus, en tant que monnaie de réserve mondiale, normalement, le dollar américain s’apprécie en période de turbulences sur les marchés.
Le dollar américain recule sur fond de tourmente tarifaire
Bien que cette tendance soit encore timide, l’affaiblissement du dollar américain cache potentiellement un phénomène plus profond : un possible changement radical d’attitude à l’égard de l’économie et du marché des États-Unis.
Depuis des années, presque tout le monde s’entend pour dire que le billet vert est surévalué, que la situation budgétaire des États-Unis est préoccupante et que le marché boursier américain est cher par rapport aux autres. Peut-être a-t-il fallu un électrochoc sous la forme de ces droits de douane et du chaos politique qui en a découlé pour inciter les investisseurs à prendre conscience de cette réalité et à se tourner vers d’autres marchés. En outre, à l’évidence, les perspectives économiques se sont assombries pour les États-Unis, tandis que l’Europe se porte un peu mieux (voir le graphique suivant).
Les prévisions économiques pour la zone euro reprennent de la vigueur, tandis que les perspectives pour les États-Unis s’assombrissent
Il reste à voir s’il s’agit simplement d’un virage cyclique hors des États-Unis ou d’un changement structurel durable. On peut toutefois affirmer qu’il y a bel et bien des éléments structurels, car l’exceptionnalisme américain semble réellement en recul, le pays se retirant des affaires mondiales.
Tout bien considéré, il est peu probable que les investisseurs abandonnent complètement les États-Unis, étant donné la régularité remarquable avec laquelle les entreprises américaines parviennent à surpasser le reste du monde en matière d’innovation.
Évolution de la conjoncture économique
Dans le contexte de la menace des droits de douane pesant sur les perspectives économiques, nous devons surveiller de près les données. Les mesures fondées sur des sondages, comme les indices de l’Institute for Supply Management (ISM) du secteur manufacturier et du secteur des services, ont fléchi (voir le graphique suivant), et les mesures axées sur la confiance, par exemple, des dirigeants d’entreprise, des consommateurs et de la presse, ont dégringolé.
Aux États-Unis, le secteur manufacturier est de nouveau en contraction et le secteur des services continue de croître, mais plus lentement
La question est de savoir dans quelle mesure cette morosité va se traduire dans l’activité économique réelle. À cet égard, les données économiques moins réactives, comme celles sur l’emploi aux États-Unis pour le mois de mars, semblent pour la plupart satisfaisantes. Il s’est créé 228 000 emplois en mars, un nombre supérieur aux prévisions générales, quoique les résultats des mois précédents aient été revus à la baisse (-48 000). Le taux de chômage est passé de 4,1 à 4,2 %, ce qui demeure bon.
Fait sans doute plus révélateur, les mesures en temps réel montrent que malgré les dommages engendrés par la grande incertitude, il n’y a encore aucune baisse marquée de l’activité économique. Les demandes hebdomadaires de prestations d’assurance-emploi restent à un niveau acceptable (voir le graphique suivant). L’indice économique hebdomadaire de la Fed de Dallas n’a que légèrement diminué (voir le graphique subséquent).
Les demandes de prestations d’assurance-emploi aux États-Unis indiquent toujours que tout va bien
L’indice économique hebdomadaire de la Fed de Dallas n’a que légèrement diminué
Les dépenses de consommation en temps réel aux États-Unis semblent également assez normales pour le moment.
De même, les mesures en temps réel de l’inflation américaine ne révèlent pas encore de hausse des prix (voir le graphique suivant). Il pourrait s’écouler un certain temps avant que les prix augmentent concrètement, car les détaillants et autres acteurs de la chaîne d’approvisionnement sont susceptibles de commencer par écouler leurs stocks de produits acquis à moindre coût.
L’indice quotidien de l’inflation aux États-Unis reste stable
Du côté du Canada
Actualités économiques canadiennes
Le Canada s’est retrouvé à l’opposé de la plupart des pays. Le pays se préparait à subir un choc tarifaire dévastateur, à tel point que les attentes des petites entreprises ont atteint un creux sur plus de 10 ans (voir le graphique suivant). Les conditions d’affaires en temps réel ont commencé à se dégrader (voir le graphique subséquent).
La confiance des petites entreprises canadiennes en ce qui concerne les conditions futures est au plus bas
Les conditions d’affaires au Canada sont à leur plus bas depuis la fin de 2023
Les demandes de prestations d’assurance-emploi au Canada semblent également suivre une tendance haussière, mais en dents de scie (voir le graphique suivant).
Les demandes de prestations d’assurance-emploi semblent augmenter
Les données sur emploi au Canada sont, elles aussi, faibles. À peine 1 000 emplois se sont ajoutés en février, et 32 600 emplois ont été supprimés en mars. Malgré la volatilité notoire des chiffres canadiens, ce sont des résultats médiocres.
Quelle sera la suite des choses pour le Canada ? Tout le monde aimerait bien le savoir. Les droits de douane devraient être moins élevés que prévu, ce qui est bien. L’aide financière se met en place, tant au niveau fédéral que provincial.
Cela dit, les droits de douane sectoriels entrés en vigueur le mois dernier sont toujours là, et l’incertitude demeure quant à l’imposition ultérieure de taxes additionnelles.
En conséquence, et compte tenu de la faiblesse évidente des récentes données économiques, nous devrions nous préparer à un ralentissement, mais pas apocalyptique. Une récession peut probablement être évitée. Toutefois, les perspectives à court terme pour les secteurs de l’automobile, de l’aluminium et de l’acier sont certes assez défavorables.
Imminence des élections canadiennes
Le scrutin du 28 avril approche à grands pas. Selon les sondages, le NPD et, dans une moindre mesure, le Parti conservateur continuent de perdre des votes au profit du Parti libéral, qui dispose désormais d’une avance confortable (voir le graphique suivant). Polymarket évalue maintenant à 73 % la probabilité que les libéraux et Mark Carney forment le prochain gouvernement canadien, contre seulement 27 % pour les conservateurs et Pierre Poilievre. Bien entendu, la course n’est pas encore terminée.
Les libéraux dépassent les conservateurs
Du point de vue des politiques publiques, les deux candidats adoptent des politiques économiques qui favorisent une accélération de la productivité et de la croissance économique. En effet, bon nombre des grandes idées politiques sont assez similaires.
Au cours des dernières semaines, les deux partis ont présenté de nouvelles idées politiques pertinentes sur le plan économique, ce qui nous a incités à mettre à jour notre feuille de pointage. Les conservateurs envisagent d’ajouter deux nouvelles réductions d’impôt pour les ménages qui investissent davantage au Canada. Ils ont également proposé de mettre en œuvre les politiques que l’industrie de l’énergie souhaite voir adopter pour encourager les investissements dans ce secteur.
Les libéraux proposent eux de bâtir à grande échelle des logements abordables par le biais de divers mécanismes, notamment en créant une nouvelle entité gouvernementale qui s’occuperait d’une partie de la construction.
L’on peut globalement affirmer que le programme des conservateurs est légèrement plus favorable à la croissance que celui des libéraux, même si les différences entre les catégories sont assez importantes et si l’on reconnaît que la qualité de l’exécution sera déterminante (voir le graphique suivant).
– Avec la collaboration de Vivien Lee, d’Aaron Ma et d’Ana Ardila
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