Aperçu
Cette semaine, le MacroMémo traite de l’éventail habituel de nouvelles relatives au nombre d’infections, à la vaccination et aux mesures de confinement, avant de se pencher sur plusieurs enjeux économiques clés. Nous procédons à la mise à jour de plusieurs dimensions de notre feuille de pointage du cycle économique. Enfin, nous supposons que les actifs à risque pourraient commencer à préférer des données économiques modérées plutôt que vigoureuses.
Le tableau des facteurs positifs et négatifs est assez mitigé. Facteurs négatifs :
- Le variant Delta demeure préoccupant.
- Le nombre de nouveaux cas et d’hospitalisations est en forte hausse aux États-Unis.
- Les vaccins se révèlent moins efficaces contre le variant Delta.
- La Chine commence à resserrer à nouveau ses restrictions.
- La réouverture active des économies est interrompue.
- L’économie américaine donne quelques signes de ralentissement.
- Nous nous attendons à une croissance inférieure aux prévisions générales en 2022.
Cependant, un certain nombre de facteurs positifs viennent faire contrepoids :
- Le taux d’infection diminue fortement (et de façon surprenante) dans des pays importants comme le Royaume-Uni et l’Indonésie.
- Les passeports vaccinaux gagnent de plus en plus la faveur populaire, et permettraient de réduire au minimum les dommages économiques lors des vagues futures.
- Bien que le cycle économique progresse, il est encore à un stade assez précoce.
- Certains signes indiquent que l’inflation pourrait être en train de plafonner.
- Le marché américain du logement ne semble pas connaître de surchauffe, malgré sa vigueur récente.
- L’économie canadienne continue de rebondir.
Messages contradictoires concernant le variant Delta
Le nombre de nouveaux cas de COVID-19 dans le monde s’est récemment stabilisé, après une période d’augmentation (voir le graphique suivant). Il s’agit d’une agréable surprise, compte tenu de la prévalence du variant Delta très contagieux.
Cas de COVID-19 et décès causés par la COVID-19 dans le monde
Au 8 août 2021. Moyennes mobiles sur sept jours du nombre quotidien de nouveaux cas et de décès. Sources : OMS, Macrobond, RBC GMA
Toutefois, il serait prématuré de déclarer victoire contre le variant Delta. Le niveau d’infection demeure élevé. Un plus grand nombre de pays voient leur bilan s’alourdir (voir le graphique suivant).
Pays signalant une augmentation des nouveaux cas quotidiens de COVID-19
Au 8 août 2021. L’évolution du nombre de cas est calculée d’après la variation sur sept jours de la moyenne mobile sur sept jours des nouvelles infections quotidiennes. Sources : OMS, Macrobond, RBC GMA
Détérioration en Amérique du Nord
Du côté des mauvaises nouvelles, le taux d’infection aux États-Unis a vivement augmenté au cours des dernières semaines, dépassant désormais régulièrement les 100 000 nouveaux cas par jour (voir le graphique suivant). Tous les États signalent aujourd’hui une hausse des cas, bien que le taux de détérioration dépende largement du niveau de vaccination par État (voir le graphique suivant). Étant donné le pourcentage relativement faible de vaccination et l’aversion pour les mesures de confinement, il semble probable que la quatrième vague continue à prendre de l’ampleur aux États-Unis pendant un certain temps. Cela dit, dans d’autres pays dont le Royaume-Uni et l’Indonésie, les vagues liées au variant Delta ont surpris par leur brièveté, comme nous en parlerons plus loin.
Cas de COVID-19 et décès causés par la COVID-19 aux États-Unis
Au 8 août 2021. Moyennes mobiles sur sept jours du nombre quotidien de nouveaux cas et de décès. Sources : OMS, Macrobond, RBC GMA
Comparaison du nombre de nouveaux cas de COVID-19 selon le taux de vaccination dans les États (élevé ou faible)
Au 6 août 2021. Sources : CDC, Census Bureau des É.-U., Macrobond, RBC GMA
Si le Canada est en meilleure position que les États-Unis (avec un taux de vaccination supérieur et des règles plus prudentes dans l’ensemble), il n’a pas complètement échappé à la vague liée au variant Delta. Le nombre de nouveaux cas progresse considérablement au pays, bien qu’il soit parti d’un niveau très bas (voir le graphique suivant).
Cas de COVID-19 et décès causés par la COVID-19 au Canada
Au 8 août 2021. Moyennes mobiles sur sept jours du nombre quotidien de nouveaux cas et de décès. Sources : OMS, Macrobond, RBC GMA
Nouvelles préoccupations en Chine
De manière générale, la Chine s’en est très bien tirée pendant la pandémie. Grâce à sa structure hiérarchique et à l’obéissance de sa population, elle est bien placée pour contenir rapidement les éclosions de COVID-19. Néanmoins, le variant Delta y soulève de nouvelles inquiétudes.
Le problème n’est pas tant le risque que le variant submerge le pays, mais plutôt l’approche de tolérance zéro de la Chine. Bien que cette façon de faire se soit révélée extrêmement efficace quand le virus était moins contagieux, elle pourrait être problématique à l’avenir, tout comme l’approche similaire adoptée en Australie, qui impose maintenant des mesures strictes lors de chaque éclosion. Il n’est peut-être pas possible de contenir complètement le variant Delta, ce qui pourrait entraîner des confinements sans fin.
Cette situation est préoccupante du point de vue de l’économie, des marchés financiers et des prix des marchandises, car l’économie chinoise revêt une importance disproportionnée pour tous ces éléments. Beijing a déjà annulé tous les événements majeurs du mois d’août. Jusqu’à présent, le bilan de la Chine est très faible, mais les chiffres ont augmenté, ce qui n’a pas échappé au radar des marchés financiers.
Améliorations remarquables
Fait intéressant et franchement inattendu, certains pays importants commencent à voir leur vague liée au variant Delta s’essouffler. Le taux quotidien d’infection en Indonésie a déjà diminué d’environ 30 % au cours du dernier mois (voir le graphique suivant).
Cas de COVID-19 et décès causés par la COVID-19 en Indonésie
Au 8 août 2021. Moyennes mobiles sur sept jours du nombre quotidien de nouveaux cas et de décès. Sources : OMS, Macrobond, RBC GMA
De même, le taux d’infection au Royaume-Uni a décliné après une flambée attribuable au variant Delta au début de l’été (voir le graphique suivant). Il s’agit d’une excellente nouvelle, qui pourrait bien indiquer que les jeunes ayant beaucoup d’interactions sociales sont maintenant vaccinés et que l’appli de recherche des contacts COVID-19 du pays est très efficace.
Cas de COVID-19 et décès causés par la COVID-19 au Royaume-Uni
Au 8 août 2021. Moyennes mobiles sur sept jours du nombre quotidien de nouveaux cas et de décès. Sources : OMS, Macrobond, RBC GMA
Par contre, il est peut-être prématuré pour le Royaume-Uni de crier victoire. Comme le taux d’infection a cessé de chuter au cours des derniers jours, une nouvelle tendance se dessine peut-être. En théorie, le Royaume-Uni est encore loin de l’immunité collective, ce qui laisse entendre que la bataille n’est pas terminée. Il se pourrait que la baisse du mois dernier n’ait fait suite qu’aux niveaux inhabituellement élevés d’activité sociale pendant les championnats européens de football. Le Royaume-Uni a complètement rouvert son économie il y a trois semaines, et toute augmentation subséquente du nombre de cas commencerait tout juste à apparaître. Certains épidémiologistes ont aussi exprimé leur inquiétude quant au fait que le Royaume-Uni ne fasse plus assez de tests, comme en témoigne le taux élevé de positivité.
Suivi des hospitalisations
Bien sûr, même si les infections remontent, cela peut être tolérable tant que les hospitalisations (et les décès) restent minimes. Jusqu’à présent, cela s’est passé comme prévu au Royaume-Uni. Malgré la hausse importante du nombre de cas depuis le printemps, les hospitalisations n’ont augmenté que modérément (voir le graphique suivant). Nous estimons que les hospitalisations au Royaume-Uni sont environ cinq fois plus faibles qu’elles ne l’auraient été sans vaccins.
Hospitalisations au Royaume-Uni
Au 6 août 2021. Sources : Macrobond, RBC GMA
Malheureusement, on ne peut pas en dire autant des États-Unis. En Floride, les infections ont bondi, et les hospitalisations aussi (voir le graphique suivant). Celles-ci semblent avoir augmenté encore plus fortement que lors de la précédente vague.
Hospitalisations en Floride
Au 6 août 2021. Sources : Macrobond, RBC GMA
Pourquoi la situation aux États-Unis est-elle bien pire qu’au Royaume-Uni d’après ce paramètre ? Le facteur évident est que le taux de vaccination est plus faible aux États-Unis. Toutefois, il est difficile d’imaginer que le taux d’hospitalisation puisse être cinq fois plus élevé aux États-Unis du seul fait que le pays affiche un taux de vaccination de 50 %, par rapport à un taux de 58 % au Royaume-Uni. D’autres facteurs peuvent expliquer la situation :
- un délai plus court entre l’administration de la première et de la deuxième dose aux États-Unis (ce qui semble offrir une protection moindre) ;
- une plus grande prévalence de l’obésité au sein de la population américaine.
Pourtant, les États-Unis ont principalement utilisé les vaccins à ARN messager, qui sont plus efficaces.
Le principal point à retenir est que cette vague aux États-Unis s’avère beaucoup plus pernicieuse que celle au Royaume-Uni du point de vue des hospitalisations. Dans ce contexte, les États-Unis devraient théoriquement être moins disposés à tolérer cette vague liée au variant Delta. Concrètement, toutefois, il est peu probable que les États-Unis resserrent fortement les règles de confinement.
La progression de la vaccination
Administration des vaccins
Près de 4,5 milliards de doses ont maintenant été administrées dans le monde entier, et ce chiffre croît à un rythme de 42,5 millions de doses par jour. Le rythme continue de s’accélérer, alors que les pays en développement représentent une part grandissante du total (voir le graphique suivant).
Nombre cumulatif de doses de vaccin contre la COVID-19 qui ont été administrées
Selon les dernières données disponibles au 28 juillet 2021. Sources : Our World in Data, Macrobond, RBC GMA
Malgré tout, les pays développés continuent d’afficher les taux de vaccination les plus élevés dans l’ensemble, le Canada se classant maintenant au deuxième rang parmi les pays examinés (voir le graphique suivant).
Vaccination contre la COVID-19 : classement mondial
Selon les dernières données disponibles au 8 août 2021. Sources : Our World in Data, Macrobond, RBC GMA
Encourager la demande de vaccins
Maintenant que l’approvisionnement en vaccins n’est plus la variable contraignante dans les pays développés, les décideurs cherchent des moyens d’amener plus de gens à franchir le pas.
Le passeport vaccinal joue un rôle important dans cet effort, et l’opinion publique devient nettement plus favorable à celui-ci. Par exemple :
- La France dispose désormais d’un laissez-passer sanitaire qui permet d’entrer dans les restaurants, les bars, les avions et les trains.
- Israël avait quelque chose de similaire, l’a abandonné, et est en train de le réintroduire alors que les cas se multiplient de nouveau.
- Le Royaume-Uni n’exigera bientôt plus que les personnes vaccinées s’isolent lorsqu’elles recevront une alerte de l’appli de traçage du pays, et espère instaurer un passeport vaccinal pour les boîtes de nuit et d’autres grands établissements d’ici l’automne.
- Le Québec est en train de mettre en place une forme de passeport vaccinal au Canada.
Beaucoup d’autres initiatives de ce genre semblent probables dans le monde entier, bien que six mois après qu’elles auraient dû logiquement être introduites. L’attrait de ces programmes n’est pas seulement qu’ils encouragent plus de gens à se faire vacciner pour tendre vers l’immunité collective, mais aussi que des secteurs d’activité entiers n’aient pas à être fermés pendant de futures vagues, comme c’était le cas auparavant.
Par ailleurs, certains employeurs sont de plus en plus énergiques dans leurs efforts pour s’assurer que leurs employés – et dans certains cas, leurs clients – sont vaccinés. Les bateaux de croisière disposent de leur propre système de passeport vaccinal pour les passagers. Certaines entreprises ont licencié des travailleurs non vaccinés. Certains territoires, hôpitaux et commissions scolaires exigent la vaccination de leurs employés (ou des tests rigoureux).
Vaccins de rappel
Les fabricants de vaccins signalent maintenant que l’immunité commence à s’estomper considérablement dans les six mois suivant l’inoculation. Ils proposent une troisième dose de rappel pour y remédier. L’espoir n’est pas seulement que les personnes vaccinées obtiennent une protection pendant six mois de plus, mais aussi que la troisième dose puisse offrir une protection plus durable lorsqu’elle est combinée aux deux premières.
Plusieurs pays s’aventurent déjà dans cette voie, dont Israël, la France et l’Allemagne. Il semble probable que la plupart des pays finiront par suivre leur exemple.
Cependant, cette situation crée un conflit, puisque les pays en développement viennent tout juste d’avoir accès à leur première série de doses. L’Organisation mondiale de la santé est allée jusqu’à demander un moratoire sur les doses de rappel jusqu’à ce que le reste du monde ait été vacciné. Il semble peu probable que les pays riches tiennent compte de cet appel, et il faudra donc peut-être plus de temps pour vacciner les populations des pays en développement qu’on ne l’avait initialement espéré.
Efficacité des vaccins
Il s’est écoulé suffisamment de temps et suffisamment d’études ont été menées pour que nous ayons une idée plus précise de l’efficacité des vaccins contre le variant Delta.
Le taux d’efficacité de deux doses de Pfizer contre une infection symptomatique semble avoir chuté, passant de 95 % contre le virus initial à entre 79 % et 88 % contre le variant Delta. D’autres études indiquent des taux d’efficacité encore plus faibles, soit entre 64 % et 69 %, mais ces taux comprennent les infections asymptomatiques (contrairement aux essais initiaux de Pfizer).
Du point de vue des hospitalisations, le vaccin de Pfizer présentait au départ un taux d’efficacité de près de 100 %. Avec le variant Delta, ce taux semble maintenant tourner autour de 93 % à 96 %.
Le principal point à retenir, c’est que bien que l’efficacité des vaccins soit légèrement inférieure contre le plus récent variant, elle n’a pas diminué de façon radicale. Par ailleurs, le risque d’infection grave demeure nettement plus faible. Malgré cela, Pfizer est en train de peaufiner sa formule et teste actuellement un vaccin qui cible spécifiquement le variant Delta.
Réouverture des commerces
Les pays développés, qui ont rouvert leur économie avec enthousiasme au cours de la première moitié de 2021, semblent avoir adopté une position attentiste (voir le graphique suivant).
Rigueur des mesures de confinement dans les pays développés
Selon les dernières données disponibles au 26 juillet 2021. Écart par rapport au niveau de référence normalisé en fonction des États-Unis et lissé au moyen d’une moyenne mobile sur sept jours. Sources : Google, Université d’Oxford, Macrobond, RBC GMA
Même si certains pays (le Royaume-Uni, par exemple) continuent de lever les restrictions, les résidents et les entreprises se comportent plus prudemment à mesure que le nombre d’infections augmente, ce qui a pour effet d’atténuer fortement les bienfaits des assouplissements. Au Royaume-Uni, l’application de recherche de contacts du pays a mis sur la touche des centaines de milliers de travailleurs, ce qui a considérablement freiné certains secteurs, notamment les épiceries, les restaurants et le camionnage.
De nombreuses entreprises américaines, y compris les grandes banques et les sociétés de technologie, ont reporté leur plan de retour au bureau de septembre à 2022 en raison de la progression du variant Delta. Dans la mesure où les bureaux sont de plus en plus perçus comme un endroit où travailler ensemble plutôt que comme un simple lieu de travail, il semble peu probable qu’un grand nombre de travailleurs retournent au bureau tant qu’il ne sera pas sécuritaire d’asseoir une douzaine de personnes dans la même salle de réunion. Cela ne se produira vraisemblablement pas avant que le taux d’infection diminue de façon marquée.
En conclusion, étant donné que l’assouplissement des restrictions ne se fait plus aussi activement, un important facteur de croissance a été perdu, ce qui pourrait ralentir le taux de progression pendant le deuxième semestre de l’année, et ce, même s’il reste encore certains avantages découlant de l’assouplissement antérieur.
Progression du cycle économique
Au moment de mettre à jour notre modèle du cycle économique américain, nous avons été confrontés à une épineuse question, à savoir si l’économie était passée du « stade initial » au « milieu de cycle ». La réponse, c’est qu’elle n’a pas encore fait ce bond. Notre meilleure estimation, c’est que l’économie se trouve toujours à un stade relativement initial du cycle économique (voir le graphique suivant).
Feuille de pointage du cycle de l’économie américaine
Au 6 août 2021. Calcul effectué à l’aide de la technique de la feuille de pointage par RBC GMA. Source : RBC GMA
Cela dit, il y a des preuves manifestes que le cycle évolue progressivement (voir le tableau suivant). Par rapport au dernier trimestre, les arguments en faveur d’un « stade initial » ont légèrement diminué (de 54 % à 53 %). Ceux en faveur d’un « début de cycle » ont fortement chuté (de 11 % à 2 %). Pendant ce temps, un nombre croissant d’experts estiment que nous nous trouvons en « milieu de cycle » (de 22 % à 29 %), à un « stade avancé » du cycle (de 8 % à 13 %), ou même en « fin de cycle » (de 1 % à 3 %).
Feuille de pointage du cycle de l’économie américaine
Au 6 août 2021. L’ombrage indique la pondération accordée à chacune de ces variables selon le stade du cycle économique. Source : RBC GMA
Dans le même ordre d’idées, nos modèles de la courbe de rendement indiquent qu’il n’y a pratiquement aucune chance que nous soyons en récession à l’heure actuelle. Ce risque demeure également faible pour la prochaine année. Le modèle de la courbe de rendement fait toutefois état d’une légère augmentation de ce risque (voir le graphique suivant).
Légère augmentation du risque de récession aux États-Unis, fondé sur la courbe des taux
Modèle de la Federal Reserve Bank de New York en juin 2021 ; estimations de RBC GMA au 29 juillet 2021. Estimation de la probabilité de récession dans 12 mois au moyen de la différence entre les taux des effets du Trésor à 10 ans et à 3 mois. La zone ombrée représente une récession. Sources : Federal Reserve Bank de New York, Haver Analytics, RBC GMA
Ce qu’il faut retenir, c’est que ce cycle économique n’est pas encore terminé. Nous reconnaissons volontiers qu’il pourrait être plus court que le cycle moyen, puisque la reprise s’est produite très rapidement ; cela étant dit, il s’étendra tout de même probablement sur une période d’environ cinq ans plutôt que sur dix ans, ce qui a été la norme dernièrement.
Les ménages puiseront-ils dans leur épargne ?
Un important défi pour les prévisionnistes consiste à déterminer dans quelle mesure les ménages dépenseront le surplus d’épargne accumulé durant la pandémie. La réponse à cette question permettra en effet en grande partie de déterminer si la croissance économique pendant le reste de l’année et en 2022 sera bonne ou spectaculaire. Il y a littéralement des billions de dollars en jeu, qui représentent 10,8 % du PIB aux États-Unis, 9,3 % au Canada et 8,6 % au Royaume-Uni (voir le graphique suivant).
Les ménages ont accumulé un surplus d’épargne considérable par suite de la pandémie
En date de mars 2021 pour tous les pays sauf le Japon (décembre 2020). Sources : Macrobond, RBC GMA
De façon contre-intuitive, les importantes dépenses de consommation qui ont été effectuées depuis le début de cette reprise ne peuvent être considérées comme un déploiement de cette épargne excédentaire. S’il est vrai que les ménages mettent moins d’argent de côté que l’an dernier, ils épargnent tout de même plus que d’habitude, ce qui signifie, techniquement, qu’ils continuent d’ajouter à leur épargne excédentaire plutôt que d’y puiser (voir le graphique suivant).
L’accélération du taux d’épargne des particuliers aux États-Unis s’essouffle
En date de juin 2021. La zone ombrée représente une récession. Sources : BEA, Macrobond, RBC GMA
L’interprétation optimiste voudrait que les ménages aient accumulé encore plus d’argent et qu’ils finissent par le dépenser d’un coup, ce qui rehausserait les perspectives économiques.
Il existe cependant une autre interprétation, qui elle, est pessimiste. Notre point de vue se situe quelque part entre les deux extrêmes, mais penche légèrement vers la prudence :
- Plus les ménages tarderont à puiser dans leur épargne excédentaire, malgré la normalisation de l’économie et la fin des restrictions, plus ils seront susceptibles de ne pas dépenser cet argent du tout.
- L’épargne excédentaire ne correspond pas nécessairement à de l’argent comptant dans un portefeuille ou un compte bancaire. En effet, elle peut avoir été investie dans les marchés financiers ou avoir servi à faire une mise de fonds sur une propriété. Lorsque c’est le cas, l’argent n’a pas été dépensé à proprement parler, puisqu’il fait toujours partie du patrimoine familial. En revanche, il n’est plus disponible pour régler des dépenses discrétionnaires.
- Rappelons que les ménages américains avaient accumulé beaucoup d’épargne excédentaire pendant la Seconde Guerre mondiale. Après le conflit, ils n’avaient dépensé que quelque 20 % de ce montant, et il aura fallu une dizaine d’années pour qu’ils l’écoulent complètement. Inversement, certains estiment qu’au cours de la prochaine année, au moins 20 % de cette épargne excédentaire sera dépensé – une prévision qui semble trop optimiste.
- Les ménages pourraient puiser dans leur épargne en 2022, mais dans la plupart des cas, ce serait pour pallier la fin des mesures de relance budgétaire. Ce scénario n’aura pas nécessairement de retombées importantes sur l’économie.
Décélération économique
L’économie américaine continue de montrer des signes de léger ralentissement, qui fait suite à une période de croissance démesurée au premier semestre de 2021. Le signe le plus éloquent est notre indice d’activité économique en temps réel, qui a cessé de grimper comme il le faisait au cours du premier semestre (voir le graphique suivant).
L’activité économique aux États-Unis continue de grimper
Au 24 juillet 2021. L’indice d’activité économique correspond à la moyenne de neuf séries de données économiques à périodicité élevée mesurant la variation en pourcentage par rapport à la même période en 2019. Sources : Bank of America, Goldman Sachs, OpenTable, Macrobond, RBC GMA
De plus, les surprises économiques sont généralement moins positives que l’an dernier (voir le graphique suivant).
Les surprises économiques à l’échelle mondiale deviennent de moins en moins positives
Au 30 juillet 2021. Sources : Citigroup, Bloomberg, RBC GMA
En ce qui concerne les données elles-mêmes, le portrait demeure mitigé. Parmi les nouvelles négatives, mentionnons le PIB des États-Unis pour le deuxième trimestre, qui a atteint « tout juste » +6,5 % sur une base annualisée. C’est beaucoup moins que les prévisions moyennes, qui étaient de +8,4 %. Cela dit, la baisse des stocks qui a contribué à ce recul pourrait s’inverser au courant du prochain trimestre.
L’indice des directeurs d’achats de l’industrie manufacturière de l’Institute for Supply Management (ISM) a encore une fois reculé, passant de 60,6 à 59,5, et le nombre de commandes est lui aussi à la baisse. Le résultat absolu demeure très solide. Cependant, il existe des signes voulant que les contraintes logistiques (et la diminution de l’effervescence économique) commencent à peser sur les secteurs producteurs de biens, et ce, même si les secteurs des services demeurent solides.
Bien entendu, ce ne sont pas tous les chiffres qui sont inférieurs aux prévisions moyennes. Par exemple, aux États-Unis, le rapport sur l’emploi de juillet fait état d’un gain de 943 000 emplois, ce qui est supérieur aux prévisions générales. De plus, le taux de chômage a reculé pour passer de 5,9 % à 5,4 %, ce qui est impressionnant.
Normalisation du marché du logement aux États-Unis
Le marché américain du logement a explosé dans le cadre de la reprise suivant la pandémie – une situation qui suscite des craintes quant à sa durabilité. Cela dit, nous sommes généralement optimistes et à notre avis, le marché du logement aux États-Unis est loin de surchauffer, tout particulièrement par rapport à celui des autres régions, dont le Canada.
Un autre facteur vient appuyer ce scénario : la part du PIB des États-Unis qui est consacrée aux investissements résidentiels, à savoir la construction d’habitations neuves et la rénovation domiciliaire. Depuis peu, ce chiffre est retourné dans la normalité historique, après s’en être éloigné pendant plus de dix ans (voir le graphique suivant).
Les investissements résidentiels aux États-Unis ont continué d’augmenter durant la pandémie
Données en date du T2 2021. Moyenne historique depuis 1947. La zone ombrée représente une récession. Sources : BEA, Macrobond, RBC GMA
Certes, la croissance démographique n’est plus aussi forte qu’auparavant, de sorte qu’à l’avenir, la moyenne pourrait s’écarter de ce qu’elle était dans le passé. Cela dit, les investissements résidentiels actuels sont loin du boom du milieu des années 2000. De toute évidence, l’économie n’affecte pas une part disproportionnée de ses ressources à l’immobilier. Par conséquent, aucune période de faiblesse marquée ne semble nous attendre.
Crédit à la consommation bien maîtrisé
Avant la pandémie, les mesures des défaillances sur les prêts à la consommation augmentaient progressivement, confortant notre opinion selon laquelle le cycle économique se trouvait alors à un stade avancé. Puis, au début de la pandémie, les taux de défaillance ont encore grimpé, conformément à ce qui se passe habituellement en période de récession (voir le graphique suivant). Par la suite, ces taux ont renoué avec une tendance baissière.
Aux États-Unis, le crédit à la consommation s’est mieux comporté que prévu durant la pandémie
Données en date du T2 2021. Nota : Pourcentage du solde normalisé des prêts en souffrance depuis 90 jours ou plus. La zone ombrée représente une récession. Sources : FRBNY Consumer Credit Panel/Equifax, Macrobond, RBC GMA.
En principe, du moins, tout cela semble parfaitement normal. Pourtant, quelques observations d’importance s’imposent :
- Il est remarquable que la hausse des taux de défaillance n’ait pas été plus forte, compte tenu de l’ampleur de la récession. On suppose que les mesures de relance budgétaire destinées aux chômeurs et aux propriétaires d’entreprise ont porté leurs fruits.
- Fait incroyable, non seulement les défauts de paiement sur les prêts hypothécaires diminuent, mais ils se situent actuellement à un creux inégalé lors des deux derniers cycles économiques. Ils n’ont jamais été aussi bas au cours de la décennie précédant la pandémie ni au cours des huit années précédant la crise financière mondiale.
- Enfin, la baisse des taux de défaillance donne à penser que la reprise de l’économie jusqu’à présent n’est pas simplement attribuable au fait que les gouvernements utilisent des fonds publics pour colmater les brèches au sein de l’économie ; des facteurs internes bien réels appuient ce redressement.
Nouvelles de la Réserve fédérale
Le dernier communiqué de la Réserve fédérale américaine (Fed) ne contenait aucun changement important à la politique monétaire du pays ni à son évaluation de l’économie. Le fait le plus notable était peut-être que d’après la Fed, les perspectives économiques n’étaient plus largement tributaires de l’évolution de la pandémie. Autrement dit, il est peu probable que les futures vagues entraînent des mesures de confinement majeures et lourdes de conséquences pour l’économie.
En revanche, la prochaine réunion de la Fed, en septembre, pourrait être beaucoup plus déterminante. Lors de cette réunion clé, la Fed devrait mettre à jour ses prévisions et les graphiques à points sur le taux des fonds fédéraux, mais ce sera aussi l’occasion toute trouvée pour indiquer à quel moment et à quel rythme elle compte commencer à réduire ses achats d’obligations. Qu’elle amorce cette étape à la fin de 2021 ou au début de 2022, la question fait débat sur les marchés. Pour sa part, le relèvement des taux d’intérêt ne devrait pas avoir lieu avant un an, au plus tôt.
Une autre question d’importance pour la politique monétaire se posera cet automne : le président de la Fed Jerome Powell se verra-t-il confier un deuxième mandat ? Certains éléments jouent contre lui, comme le fait qu’il est républicain, qu’il a été nommé par Donald Trump. De plus, il ne représente pas un choix dicté dans une perspective de diversité que l’administration Biden aimerait promouvoir.
En revanche, M. Powell a mis en place une politique plutôt conciliante – qui représente habituellement l’orientation privilégiée par les politiciens. Il a incité la Fed à accorder davantage d’attention à l’environnement et aux inégalités. Son départ pourrait intensifier inutilement l’incertitude à un moment crucial pour l’économie. Son maintien en poste semble donc légèrement plus probable que son départ.
Accélération au Canada
À la différence de l’économie américaine qui semble subir un ralentissement, l’économie canadienne poursuit son accélération. Les indicateurs en temps réel se sont ressaisis, à mesure que les restrictions ont été levées au cours des derniers mois. L’Enquête sur les perspectives des entreprises de juillet fait état d’un regain de confiance, ainsi que de prévisions de ventes et d’intentions d’embauche record conjuguées à d’importants projets d’investissements.
Sans atteindre les prévisions ambitieuses, la création de 94 000 emplois au Canada en juillet figure parmi les signes de raffermissement. Les pertes relevées en avril et en mai ont été amplement compensées. L’emploi est maintenant inférieur de seulement 1,3 % à son niveau d’avant la pandémie.
Inflation contenue
L’IPC des États-Unis a atteint un niveau inhabituel de 5,4 % d’une année sur l’autre en juin. Nous pensons que l’inflation culminera bientôt et qu’elle s’essoufflera un peu en 2022.
Notre opinion repose sur plusieurs événements récents :
- Les prix des marchandises ont dernièrement atteint un sommet, avant de se replier légèrement.
- L’indice ISM des prix payés par le secteur manufacturier a enfin décliné, passant d’un record de 92,1 à 85,7 en juillet. Ce niveau demeure élevé, mais il s’agit de la première baisse notable depuis avril 2020. Parallèlement, l’indice de livraison des fournisseurs a baissé pendant deux mois consécutifs, ce qui indique que les délais de livraison commencent enfin à s’améliorer.
- Au Canada, l’IPC pour le mois de juin s’est tassé de 3,6 % à 3,1 % d’une année sur l’autre. Les prix à la consommation de la zone euro ont même glissé de 0,1 % en juin par rapport à mai. L’inflation évolue en fonction de conditions propres à chaque pays, mais le fait qu’elle a atteint un sommet dans plusieurs pays indique que son ascension pourrait se terminer prochainement ailleurs. La surchauffe de l’inflation est liée en grande partie à des forces mondiales comme les prix des marchandises, les coûts d’expédition, les changements de préférences du côté de la demande et les pénuries de puces.
- À cet égard, il convient de noter que l’inflation reste beaucoup plus élevée aux États-Unis que dans d’autres pays. L’inflation au Canada est inférieure de près de 2 points de pourcentage à celle des États-Unis et l’écart est d’environ 3 points de pourcentage pour celle du Royaume-Uni et de la zone euro. Certes, le billet vert s’est déprécié et l’économie américaine est survoltée, mais la différence semble extrême et ne durera probablement pas.
Trop, c'est trop ?
Pendant la phase initiale d’une reprise économique, une bonne croissance est propice aux actifs à risque, comme les actions, et une excellente croissance l’est encore plus. La reprise économique entraîne une hausse des bénéfices et une tolérance au risque plus forte. Les taux des obligations d’État ont tendance à réagir de la même manière : ils augmentent modérément en réponse à une bonne croissance et ils s’envolent lorsque la croissance est excellente, principalement parce que l’aversion pour le risque diminue. Ainsi, la corrélation entre le marché boursier et les taux obligataires tend à être fortement positive pendant cette phase.
Toutefois, à mesure que la reprise progresse, les actifs à risque commencent à réagir de façon plus nuancée face à une excellente croissance économique. Une croissance très rapide est propice aux bénéfices à court terme. Elle est cependant teintée de risque, dans la mesure où elle laisse entendre que le cycle tire à sa fin, que l’inflation pourrait poser problème et que les banques centrales sont susceptibles de resserrer leur politique plus tôt. Par conséquent, le marché boursier commence à préférer que la croissance soit bonne plutôt qu’excellente. Quant aux taux obligataires, ils continuent d’augmenter proportionnellement à la vigueur de l’économie, surtout quand l’inflation élevée et le resserrement monétaire entrent dans l’équation.
Tout cela se reflète dans la corrélation entre la croissance du marché boursier américain et la variation du taux des obligations américaines à 10 ans (voir le graphique suivant). Alors que cette corrélation était nettement positive pendant la première phase de la pandémie, elle s’est récemment affaiblie. En effet, le marché boursier est devenu plus exigeant quant au type de croissance qu’il préfère. Par exemple, le chiffre impressionnant de la création d’emplois aux États-Unis a fait grimper les taux obligataires en flèche, mais le marché boursier n’a progressé que modérément ; il semble que le chiffre ait été trop spectaculaire pour être vraiment rassurant.
Corrélation entre les actions et les obligations américaines au fil du temps
Au 30 juillet 2021. Corrélation entre les rendements quotidiens du S&P 500 et la variation du taux des obligations du Trésor américain à dix ans. La zone ombrée représente une récession. Sources : Haver Analytics, RBC GMA
À l’avenir, les actifs à risque pourraient être sur la corde raide, car ils réagissent mieux à une bonne croissance économique qu’à une excellente croissance (ou mauvaise).
– Avec la contribution de Vivien Lee et de Lucas Hervato
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