Aperçu
Les marchés financiers demeurent très agités et continuent de se replier. Bien qu’il soit prématuré de soutenir que les valorisations ont atteint des niveaux extrêmes, il est probable que les occasions se multiplient pour les investisseurs à contre-courant. Nous discuterons ci-après des mouvements des devises et de leurs répercussions.
Cette semaine, la chronique traite également des innombrables défis économiques auxquels le Royaume-Uni fait face, de la nouvelle sensibilité du marché obligataire aux questions budgétaires, des derniers événements importants touchant le conflit en Ukraine, de certaines réflexions sur le prochain Congrès national en Chine, d’un ensemble de réflexions d’ordre économique, notamment sur les répercussions des récents ouragans, et d’une analyse des risques géopolitiques clés.
Webémission mensuelle sur l’économie
Notre dernière webémission mensuelle sur l’économie, intitulée « Récession en vue, apaisement des craintes inflationnistes » , est maintenant accessible. En anglais seulement.
Vigueur du dollar
Certaines des fluctuations les plus importantes observées récemment sur les marchés financiers ont concerné les devises. La livre, l’euro et le yen ont été particulièrement faibles, et cette situation s’explique autant par la vigueur exceptionnelle du dollar américain que par la faiblesse des autres grandes devises (voir le graphique suivant).
Le dollar américain s’est apprécié par rapport aux devises de la plupart des pays développés
Au 27 septembre 2022. Sources : Macrobond, RBC GMA
Soit dit en passant, alors que les Canadiens perçoivent leur propre monnaie comme faible, car ils ne s’attachent à regarder que le taux de change par rapport au billet vert, celle-ci s’est en réalité plutôt bien comportée par comparaison avec les monnaies de la plupart des autres pays développés.
La vigueur du dollar américain est attribuable à plusieurs facteurs. Le principal facteur est sans doute que, en période de préoccupations concernant l’économie mondiale et d’aversion accrue aux risques, les garanties et la liquidité élevées qu’offre le dollar américain en font une devise recherchée, attirant ainsi les capitaux et renforçant le cours de cette devise.
Un autre facteur important en faveur du dollar est la plus grande fermeté dont fait preuve la Réserve fédérale américaine par rapport à ses homologues. La Fed applique non seulement un taux directeur plus élevé que ceux des banques centrales des pays dont les devises sont à la traîne, mais d’après son dernier communiqué, elle s’apprête aussi à resserrer encore davantage sa politique monétaire (elle pourrait porter le taux des fonds fédéraux à près de 5 %). Cette décision de la Fed incite, à leur tour, certains pays à la traîne à relever leurs taux directeurs plus fortement qu’ils ne l’avaient initialement envisagé.
Enfin, l’économie américaine s’est montrée jusqu’à présent relativement plus résistante. Nous entrevoyons toujours un affaiblissement de l’économie aux États-Unis. Néanmoins, le ralentissement observé à ce stade s’est avéré plus modéré dans ce pays, où le creux sera probablement moins prononcé que dans la zone euro ou au Royaume-Uni.
En temps normal, un mouvement de change aussi important que l’appréciation de 16 % du dollar américain par rapport à l’euro au cours de la dernière année, ayant ramené le dollar américain au-delà de la parité avec l’euro, susciterait de vives inquiétudes chez les exportateurs américains quant à la dégradation de leur compétitivité. Or, ce n’est pas la réaction qui a été observée. Les États-Unis sont surtout heureux que la force du dollar américain ait permis de ralentir l’inflation liée aux produits importés et d’éviter une fuite des investisseurs de leurs marchés d’une ampleur aussi inquiétante que celle constatée dans certains pays.
Par ailleurs, il semble aujourd’hui peu probable de voir les pays entamer des discussions sur une intervention commune et coordonnée pour affaiblir le dollar, comme celle mise en œuvre en septembre 1985 dans le cadre des accords du Plaza, et ce, malgré le souhait des pays fragilisés de trouver une solution. Alors que les États-Unis n’étaient pas non plus favorables à un dollar fort en 1985, leur position n’est pas la même aujourd’hui.
Une autre différence importante par rapport à 1985 est que bon nombre des pays dont les monnaies se sont affaiblies ont probablement besoin d’une telle dépréciation. Pour la zone euro et le Royaume-Uni, la faiblesse de leur monnaie, et le gain de compétitivité qu’elle procure, aide à compenser la forte baisse de compétitivité que les pays ont subie en raison de la flambée des coûts de l’énergie. Pour un fabricant allemand qui paie son électricité huit fois plus cher qu’avant la pandémie, un net affaiblissement de la monnaie est crucial pour rester concurrentiel à l’international.
Cela ne veut pas dire que les pays sont ravis de l’ampleur et de la rapidité du repli actuel de leur monnaie. À titre d’exemple, la Banque du Japon est récemment intervenue pour soutenir sa monnaie (qui avait chuté beaucoup plus que celles d’autres grands pays, principalement en raison de la réticence de la Banque du Japon à relever ses taux, celle-ci souhaitant changer la mentalité inflationniste au Japon). Le plancher implicite concernant le yen semble résister. La Chine est elle aussi intervenue pour défendre le yuan, tandis que le Royaume-Uni vient juste d’annuler une partie du plan de relance budgétaire qui attisait la colère des investisseurs (ce point sera abordé plus bas).
À moyen terme, si l’aversion au risque diminue en 2023 et que la croissance économique revient d’ici le second semestre de 2023, on pourrait alors raisonnablement s’attendre à un revirement de tendance pour le dollar. Les facteurs temporaires qui influent actuellement sur le marché des changes justifient aussi pourquoi un accord formel pour faire évoluer la valeur des devises n’est peut-être pas nécessaire.
Difficultés de la livre
La livre sterling a extraordinairement faibli et a touché un creux historique par rapport au dollar.
Les facteurs mentionnés précédemment, comme l’aversion pour le risque, le ton relativement ferme de la Fed, la résistance de l’économie américaine, la dégradation de la compétitivité en Europe et une combinaison de problèmes propres au Royaume-Uni, justifient notamment cette faiblesse.
Le Royaume-Uni a sans doute vécu au-dessus de ses moyens pendant des années, comme en témoigne le déficit important du compte courant, qui révèle un large dépassement des dépenses par rapport à la production. Le Brexit, qui a érigé des barrières et semé un chaos réglementaire, a davantage mis à mal la compétitivité. En raison de la flambée des prix du gaz naturel, le Royaume-Uni a désormais besoin d’énormes flux de capitaux étrangers pour poursuivre ses activités (voir le graphique suivant). Ces flux deviennent plus rares lorsque les investisseurs deviennent frileux, ce qui affaiblit la monnaie.
Le déficit du compte courant du Royaume-Uni s’accentue
Données au deuxième trimestre de 2022. Sources : Office for National Statistics (ONS) du R.-U., Macrobond, RBC GMA
Le pays a traversé une période de changement politique rapide, accueillant un nouveau monarque et une nouvelle première ministre à quelques jours d’écart. La nouvelle première ministre, Liz Truss, et son ministre des Finances, Kwasi Kwarteng, ont récemment proposé d’importantes réductions d’impôt. Les marchés financiers y ont très mal réagi. La livre s’est effondrée et les taux des obligations britanniques ont monté en flèche. En l’espace d’une semaine, le taux des obligations britanniques à dix ans est passé de 3,29 % à 4,60 %, et la livre sterling a chuté de 1,14 à 1,03. Les marchés ont depuis éliminé en partie ces chutes grâce aux achats temporaires d’obligations effectués d’urgence par la Banque d’Angleterre et, récemment, à l’annulation d’une partie des réductions d’impôt prévues par le gouvernement britannique.
Pourquoi les marchés financiers ont-ils si mal réagi alors qu’en temps normal, ils auraient probablement célébré des baisses du taux d’imposition des sociétés et des dividendes censées accroître la compétitivité des entreprises britanniques ?
- Le projet de loi a sans doute été l’élément déclencheur de cette réaction, la politique budgétaire stimulant encore plus la forte inflation qui met déjà l’économie en difficulté. La Banque d’Angleterre doit hausser davantage les taux d’intérêt pour calmer l’économie. Il y a deux semaines, les marchés anticipaient un taux directeur maximal de 4,72 %. Cette prévision a bondi à 5,98 % la semaine dernière. Les marchés s’attendent à une énorme augmentation de taux de 1,25 point de pourcentage après la réunion de novembre. Les appels en faveur d’une hausse en dehors du calendrier normal d’établissement du taux directeur ont toutefois quelque peu diminué.
- La mesure budgétaire qui prévoyait une réduction disproportionnée des impôts des nantis à un moment où souffrent les personnes à faible revenu était sans doute mal ciblée, et a révélé un amateurisme qui a remis en question l’aspect professionnel de cette décision.
- La hausse soudaine des taux obligataires a surpris certains acteurs financiers britanniques (plus particulièrement les caisses de retraite), compte tenu de leur ratio de levier financier. Elle a entraîné de gigantesques appels de marge et des tentatives de liquidation alors que le marché n’était pas particulièrement réceptif à ce type d’opération. C’est ce qui a essentiellement motivé la Banque d’Angleterre à procéder à ses achats temporaires d’obligations. De manière plus générale, la situation donne une image négative des autorités de réglementation britanniques, qui n’ont pas su empêcher cette vulnérabilité du secteur des régimes de retraite. Le marché hypothécaire britannique a également été profondément touché par la montée en flèche des taux hypothécaires et par la réticence de certaines banques à prêter dans un contexte de taux aussi instable. Il est probable que le marché du logement britannique empruntera une trajectoire bien plus négative au cours des prochains trimestres.
- La Banque d’Angleterre a provisoirement réussi à calmer les marchés, mais le Royaume-Uni dispose d’une quantité étonnamment faible de réserves de devises qui puissent l’aider à contrer les pressions baissières s’exerçant sur la livre sterling. Le Royaume-Uni est donc une région particulièrement attrayante pour les spéculateurs.
- Comme nous l’avons déjà mentionné, le déficit du compte courant du Royaume-Uni était déjà important avant cette proposition, et avait considérablement augmenté à la suite des subventions liées au gaz naturel accordées quelques semaines auparavant. Les nouvelles réductions fiscales s’ajouteront au déficit, exacerbant ainsi la situation. Le ratio dette publique/PIB du Royaume-Uni a atteint 100 % au cours des dernières semaines. Ce seuil symbolique est peu souhaitable.
- Étonnamment, la faiblesse de la monnaie se répercute énormément sur l’inflation ; un multiplicateur de 0,2 à 0,3 laisserait entrevoir une progression supplémentaire d’un ou de deux points de pourcentage de l’inflation découlant simplement du récent fléchissement de la monnaie.
Accroissement de la sensibilité budgétaire
Pendant plus d’une décennie, les marchés de la dette souveraine n’ont guère tenu compte des préoccupations liées à un endettement public grandissant. Les pays pouvaient enregistrer des déficits budgétaires importants et durables sans subir une forte hausse des taux d’intérêt. Il y a eu quelques exceptions, notamment des emprunteurs souverains des pays en périphérie de l’Europe, mais elles ont été rares.
Cette période d’indifférence budgétaire s’explique en grande partie par deux facteurs principaux :
- Les coûts d’emprunt étaient si bas que les pays (et tout le monde) pouvaient emprunter beaucoup plus qu’auparavant sans avoir à supporter des coûts du service de la dette extrêmement lourds. Les pays avaient toujours des limites à ce qu’ils pouvaient se permettre, mais ces limites avaient soudain dépassé de loin les niveaux d’endettement réels.
- Au cours des treize dernières années, les banques centrales ont procédé à des assouplissements quantitatifs à plusieurs reprises en achetant des obligations valant des milliers de milliards de dollars. Ces mesures ont créé une nouvelle source de demande importante et entraîné une pénurie d’obligations pour les autres investisseurs. Pendant de longues périodes, les banques centrales ont absorbé plus que l’ensemble de l’offre nette de nouveaux titres de créance.
Il va sans dire que ces deux forces s’inversent aujourd’hui fortement. Les coûts d’emprunt montent en flèche et l’assouplissement quantitatif est en train d’être annulé, malgré la persistance de déficits budgétaires relativement élevés. Autrement dit, l’offre et la demande de titres de créance publics reprennent un rôle déterminant dans la fixation des taux obligataires.
En règle générale, une augmentation d’un point de pourcentage du ratio dette publique/PIB devrait se traduire par une hausse de trois à cinq points de base du taux des obligations à dix ans d’un pays. Cette règle fonctionnait à peine avant la crise financière mondiale et a carrément été inefficace pendant la période suivant cette crise, alors que les déficits et la dette ne comptaient plus. Il se pourrait que la règle commence à se rétablir à la suite de la remontée des coûts d’emprunt.
En fait, les taux du Royaume-Uni ont grimpé plus que ne le laisse supposer la règle en réaction aux mesures budgétaires proposées, ce qui donne à penser que la sensibilité budgétaire pourrait être supérieure à la normale (mais au moment où la situation économique de ce pays est particulièrement difficile).
Cette sensibilité budgétaire récemment retrouvée pourrait s’avérer pertinente ailleurs d’ici peu. Alors que les économies s’affaiblissent et risquent de tomber en récession, les gouvernements seront fortement tentés d’adopter de nouvelles mesures de stimulation budgétaire. En fait, l’une de nos principales thèses est que nous vivons une époque d’expansion anormale des gouvernements. Certains sont susceptibles de souffrir de cette situation sur le marché obligataire.
Guerre en Ukraine
La situation découlant de la guerre en Ukraine continue d’évoluer considérablement. Les conséquences nettes sont ambiguës.
D’un côté, l’Ukraine continue de réaliser des gains importants. Au cours des derniers jours, le pays a réussi à regagner une autre partie de son territoire. Il avait déjà accompli une importante avancée le mois dernier.
De l’autre côté, la Russie réplique en haussant le ton. Elle s’apprête probablement à mobiliser des centaines de milliers de nouveaux soldats, empêche actuellement les hommes en âge de combattre de quitter le pays, a menacé à maintes reprises d’utiliser l’arme nucléaire et a organisé un simulacre de référendum pour légitimer l’annexion du territoire ukrainien qu’elle occupe à l’heure actuelle. Les résultats de ce vote serviront d’argument à la Russie lorsque l’Ukraine tentera de récupérer ce que la première considère désormais comme son propre territoire.
Certains diront que le conflit est passé d’une impasse prévisible à une guerre imprévisible, et que son dénouement semble désormais impossible à prédire. La situation pourrait fort bien s’améliorer si l’Ukraine continuait à réaliser des gains considérables malgré les fanfaronnades de la Russie. Cela dit, elle pourrait fortement se dégrader si la Russie mettait complètement fin à ses exportations de pétrole et de gaz, ou dans le pire des cas, si elle mettait à exécution sa menace d’utiliser l’arme nucléaire tactique.
Il semble peu probable que le pays s’engage dans cette voie. Il faut toutefois noter que, bien qu’elles soient beaucoup moins destructrices que les bombes stratégiques, les armes nucléaires tactiques modernes sont d’une puissance comparable aux bombes atomiques qui ont été larguées sur le Japon pour mettre fin à la Seconde Guerre mondiale. Tant les armes tactiques que stratégiques ne doivent pas être prises à la légère, compte tenu de leur force destructrice initiale et des radiations qu’elles libèrent, sans parler du risque d’escalade nucléaire qui en découlerait.
D’un point de vue économique, quoi qu’il arrive, les sanctions contre la Russie persisteront. En fait, il est plus probable qu’elles se multiplient qu’elles ne soient allégées au cours des prochains trimestres. Par ailleurs, la pénurie de gaz naturel en Europe s’aggrave : les pipelines ne font pas seulement que fonctionner au ralenti, ils font carrément l’objet d’un sabotage. L’approvisionnement en pétrole demeure très incertain, car la Russie risque de réduire substantiellement ses exportations dès le début de décembre.
L’Europe dispose probablement de réserves de gaz naturel suffisantes pour assurer ses besoins cet hiver (en présumant une diminution annuelle d’environ 15 % de la consommation de gaz naturel, comme l’Allemagne l’a déjà fait, et en supposant que l’hiver sera plutôt clément). En revanche, le continent se retrouvera tout de même dans une situation précaire l’hiver prochain parce que ses réserves seront faibles et sa capacité à les reconstituer au cours de l’été 2023 sera limitée.
Congrès national en Chine
Le Congrès national du Parti communiste chinois débute le 16 octobre. Les enjeux sont importants non seulement pour la Chine, mais aussi pour le monde entier.
En outre, malgré les rumeurs de mécontentement au sein du Parti communiste, le président Xi sera probablement réélu pour un troisième mandat de cinq ans, soit un record. Le gouvernement a aboli la limite de deux mandats en 2018.
Xi Jinping a accentué sa mainmise sur le gouvernement au cours de la dernière décennie. On peut donc s’attendre à ce qu’il profite de son nouveau mandat pour renforcer son emprise sur la population chinoise au cours de son prochain mandat, fortifie la position de la Chine par rapport au reste du monde et poursuive la nationalisation des institutions privées. Les forces du marché ainsi que les entrepreneurs et les sociétés privées ont perdu du terrain ces dernières années. Aucune de ces ambitions ne semble favorable à la croissance de l’économie chinoise, qui a déjà considérablement ralenti au cours des cinq dernières années.
Il est peu probable que la Chine assouplisse considérablement sa politique zéro-COVID avant le printemps : les plus grosses vagues ont tendance à survenir en hiver, et le gouvernement souhaite logiquement éviter la transmission du virus au moment des déplacements et des festivités du Nouvel An chinois. L’économie du pays pourrait être propulsée temporairement par un assouplissement de ces mesures au deuxième trimestre de l’année prochaine.
Le marché chinois de l’immobilier est également dans la mire du gouvernement. Les spécialistes de la Chine doutent toutefois que des mesures majeures soient proposées lors du Congrès national, du moins à grande échelle, puisque « le logement est fait pour vivre, et non pour spéculer », selon le gouvernement. Néanmoins, il s’agit d’un secteur clé. Il est donc possible que des efforts supplémentaires pour le stabiliser soient déployés.
D’un point de vue économique général, la Chine pourrait recommencer à se fixer un objectif de croissance annuelle, qui pourrait être d’environ +5,5 %. Bien qu’inférieure aux résultats antérieurs du pays, cette cible est nettement supérieure aux prévisions pour 2022. Les principales ambitions économiques devraient comprendre ce qui suit :
- accroissement de la « prospérité commune » (c’est-à-dire la réduction des inégalités) ;
- amélioration de la production manufacturière ;
- amélioration de la sécurité des chaînes d’approvisionnement des secteurs des aliments, de l’énergie et des semi-conducteurs ;
- poursuite des efforts de décarbonisation.
Évolution de la conjoncture économique
Effets des ouragans
Les ouragans Fiona et Ian ont causé des dommages considérables dans les Caraïbes et le long de la côte de l’Atlantique.
Selon les estimations préliminaires, Fiona a causé entre 300 et 700 millions de dollars canadiens de sinistres assurés au Canada, tandis que les estimations pour Ian aux États-Unis se situent entre 40 et 70 milliards de dollars.
En plus de la perte tragique de vies humaines et de biens, les ouragans auront inévitablement des effets sur les données économiques de la fin de septembre et d’octobre. À cause des pannes de courant, des dommages matériels et du déplacement de dizaines de milliers de personnes, certaines entreprises n’ont tout simplement pas été en mesure de fonctionner à leur rythme normal. Le PIB de la Floride pourrait s’établir à six points de pourcentage de moins au troisième trimestre, et celui de l’ensemble des États-Unis à 0,3 point de pourcentage en deçà de la normale.
Bien sûr, les pertes économiques dues aux catastrophes naturelles sont en général entièrement récupérées au cours des trimestres suivants, et, paradoxalement, l’activité économique des zones frappées par les ouragans a tendance à être plus forte au cours des années suivantes, grâce à la reconstruction. Le moment pourrait donc être particulièrement opportun pour les travailleurs de la construction, étant donné le ralentissement du marché du logement américain.
Données économiques
La dernière publication des résultats de FedEx, qui annonçait une baisse récente des volumes, tant à l’échelle internationale qu’aux États-Unis, n’augure rien de positif à l’échelle mondiale. En principe, FedEx devrait être un bon indicateur de l’activité économique.
L’indice du secteur manufacturier de l’Institute for Supply Management (ISM) est passé de 52,8 à 50,9 en septembre, soit tout juste au-dessus du seuil entre croissance et fléchissement pour le secteur (voir le graphique suivant). Les nouvelles commandes sont passées de 51,3 à 47,1 et l’emploi, de 54,2 à 48,7, ce qui pourrait nous donner une idée de ce à quoi nous attendre.
Détérioration de l’activité manufacturière aux États-Unis
En date de septembre 2022. La zone ombrée représente une récession. Sources : ISM, Haver Analytics, RBC GMA
Les prévisions relatives au PIB des États-Unis pour le troisième trimestre continuent de baisser. Les prévisions immédiates de croissance annualisée de la Réserve fédérale de Saint-Louis pour le PIB ont chuté à 0,55 %, et celles de la Réserve fédérale d’Atlanta ont chuté à 0,3 %. Entre-temps, les prévisions générales de croissance de Blue Chip pour le troisième trimestre ont en fait glissé en territoire légèrement négatif.
Cela dit, il est loin d’être vrai que chaque indicateur économique est faible. Les États-Unis demeurent parmi les économies les plus résistantes, les demandes initiales de prestation d’assurance-emploi ayant récemment cessé d’augmenter (voir le graphique suivant).
Les demandes initiales de prestation d’assurance-emploi aux États-Unis continuent de diminuer
Données pour la semaine se terminant le 24 septembre 2022. Sources : Département du Travail des États-Unis, Macrobond, RBC GMA
Étrangement, et contrairement aux prévisions de détérioration de la croissance, l’outil de suivi hebdomadaire de l’économie de l’OCDE pour les États-Unis a plutôt fait état d’une accélération récemment (voir le graphique suivant).
Outil de suivi hebdomadaire de la croissance du PIB de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour les États-Unis
Suivi hebdomadaire pour la semaine terminée le 17 septembre 2022, PIB réel au 2e trimestre de 2022. Relevés hebdomadaires du PIB estimés d’après le PIB trimestriel réel et une interpolation linéaire. Sources : Outil de suivi hebdomadaire du PIB de l’OCDE (Woloszko, 2020), Macrobond, RBC GMA
La principale conclusion est que même si certaines données économiques fléchissent, la détérioration n’est pas encore généralisée et nous ne sommes pas encore sur le point de connaître une récession majeure.
Saccades du marché du logement
Le marché du logement a tendance à être le secteur de l’économie le plus pénalisé lorsque les taux d’intérêt augmentent. L’effet direct de ce phénomène a bien été étayé aux États-Unis, notamment la baisse marquée de la confiance sur le marché du logement, le repli des reventes de logements, une chute amorcée des mises en chantier et une légère diminution des permis de construction (voir le graphique suivant). Jusqu’à présent, l’emploi dans la construction résidentielle et les prix des maisons n’ont pas encore été fortement touchés, même s’ils finiront par l’être. Toutes ces statistiques devraient reculer davantage au cours des prochains trimestres.
Les statistiques du marché du logement aux États-Unis laissent paraître une faiblesse grandissante
Indice Case-Shiller des prix des maisons en date de juillet 2022 ; permis de construire, mises en chantier, reventes et emploi en date d’août 2022; indice du marché du logement de la National Association of Home Builders (NAHB) en date de septembre 2022. Sources : Bureau of Labor Statistics, U.S. Census Bureau, NAHB, National Association of Realtors (NAR), S&P Dow Jones Indices (SPDJI), Macrobond, RBC GMA.
La faiblesse du marché du logement commence à déteindre sur les industries adjacentes, comme la fabrication et la vente de meubles (voir le graphique suivant).
La faiblesse du marché du logement se traduit par une diminution des ventes de meubles et de l’emploi
En date d’août 2022. Sources : U.S. Census Bureau, U.S. Bureau of Labor Statistics (BLS), Macrobond et RBC GMA.
Distorsions du marché du travail
Nous nous demandons régulièrement pourquoi le marché du travail est si tendu aujourd’hui. Voici plusieurs grandes explications :
- La brutalité du rebond économique global au cours des dernières années, au point de provoquer la surchauffe dans de nombreux pans de l’économie, y compris le marché du travail.
- Un changement des préférences du secteur sur le plan des désirs des consommateurs et de l’offre de main-d’œuvre, mutuellement en porte à faux.
- De nombreux départs à la retraite anticipés pendant la pandémie (représentant plusieurs millions de personnes aux États-Unis).
- L’importante désertion de la population active par les jeunes en âge de travailler (se dénombrant aussi en quelques millions de personnes aux États-Unis).
Nous avons généralement attribué le changement de comportement de ces deux derniers groupes à l’évolution des priorités familiales, à la peur de tomber malade et à l’accumulation de richesses excédentaires au cours des deux premières années de la pandémie. Les valorisations du marché financier et des logements ont alors toutes augmenté et l’épargne des ménages était supérieure à la normale.
Mais il y a une autre réponse plausible à la réduction de l’offre de main-d’œuvre : beaucoup de gens sont peut-être encore malades. Nous ne faisons pas allusion aux personnes qui ont souffert pendant une semaine de la COVID-19 à un moment donné, mais plutôt aux malades de longue durée à cause de la COVID-19, c.-à-d. qui présentent des symptômes persistants pendant des mois, voire indéfiniment. Récemment, des efforts ont été déployés à deux reprises pour évaluer les répercussions de cette situation sur la population active américaine.
- La Brookings Institution estime que trois millions de travailleurs équivalents temps plein ont quitté la population active du fait de cas de COVID-19 de longue durée. Cela expliquerait en grande partie l’insuffisance du taux de participation au marché du travail.
- À l’inverse, selon une étude récente d’universitaires de Stanford et du MIT, des chercheurs ont estimé que 500 000 personnes « seulement » sont absentes du marché du travail du fait de cas de COVID-19 de longue durée. Cela est loin d’expliquer l’ensemble de l’écart de la population active, mais représente encore un nombre important de personnes.
Une autre distorsion du marché du travail, indépendante de celle-ci, de nature plus temporaire est le fait que plus de personnes ont pris des congés qu’au cours des dernières années, ce qui exige probablement plus de remplacements de la part des entreprises et aggrave ainsi temporairement le resserrement du marché du travail. Environ 4,8 millions de travailleurs ont pris des vacances ou des congés personnels pendant la semaine de référence en juin, contre 3,7 millions l’année précédente. Cependant, il reste à voir si plus de gens sont en vacances par rapport au niveau normal avant la pandémie à cause des jours de congé accumulés... Telle est la véritable question.
Risques géopolitiques
On sous-estime rarement les risques géopolitiques. En effet, on peut toujours trouver quelque chose qui nourrit notre inquiétude. Mais en ce moment, les risques semblent particulièrement sérieux. Et une telle affirmation traduit en partie les changements structurels auxquels nous assistons. Nous sommes maintenant dans un monde multipolaire, où plusieurs jouent un rôle de gendarme et se livrent à une lutte d’influence.
Mais il existe aussi des risques particuliers à court et moyen terme.
Naturellement, on pense d’abord à la possibilité d’une grave escalade de la guerre en Ukraine. La Russie menace de lancer des attaques nucléaires en employant un ton inédit parmi les puissances dotées de l’arme atomique. Alors que le pays dispose d’autres options pour ne pas perdre la face, le risque d’une frappe nucléaire n’est pas nul.
Un autre risque, qui pourrait avoir de très lourdes conséquences, mais demeure relativement faible (bien qu’il ait tendance à augmenter comme pour le conflit en Ukraine), serait une invasion de Taïwan par la Chine. Cela pourrait entraîner une guerre entre les États-Unis et la Chine, avec des conséquences économiques en cascade qui pourraient éclipser l’effet des sanctions contre la Russie. Nous avons l’intention d’écrire des articles sur ce sujet dans les semaines à venir.
L’Iran représente un autre risque. Le pays est littéralement sur le point de développer des armes nucléaires, et la question est de savoir si les États-Unis ou Israël pourraient essayer d’arrêter ce processus par la force. Les efforts visant à conclure un autre accord avec les États-Unis sont au point mort, peut-être parce que l’Iran cherche à gagner du temps pour mettre la dernière main à son programme nucléaire. L’influence de l’Iran s’est considérablement accrue au fil des ans. Elle s’étend maintenant non seulement à la Syrie et au Liban, mais aussi à une grande partie de l’Irak. Il est intéressant de constater que cette situation a donné naissance à d’étranges alliances, puisque l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et Israël se trouvent provisoirement unis dans leur opposition à l’Iran. Le Moyen-Orient joue toujours un rôle très important dans l’économie mondiale, étant donné que les pays de l’OPEP produisent encore environ 40 % du pétrole à l’échelle planétaire.
La polarisation aux États-Unis constitue un autre risque géopolitique manifeste. Selon certains paramètres, cette polarisation est encore plus importante qu’elle ne l’était pendant la guerre de Sécession (voir le graphique suivant). Jusqu’à présent, cela a eu curieusement peu d’effet sur l’économie américaine, mais on craint une incidence potentielle, notamment en raison de politiques publiques plus extrêmes (et sans conteste plus néfastes), d’une perte de confiance entre les entreprises et les citoyens, des conséquences de l’ajout d’une prime de risque plus élevée dans les coûts d’emprunt, voire d’un coup d’État. Les élections de mi-mandat aux États-Unis ne semblent pas empirer les choses, mais cela pourrait arriver lors des élections de 2024.
La partisanerie atteint un niveau record au Congrès
Données au 7 septembre 2022. Nota : Écart entre la médiane des voix des membres des partis démocrate et républicain à la Chambre des représentants et au Sénat. Sources : Voteview.com, RBC GMA.
Les enjeux politiques ne se limitent pas aux États-Unis. Un certain nombre de pays européens ont amorcé récemment un virage très à droite, comme en Italie et en Suède. Le scepticisme à l’égard de l’Union européenne étant une des caractéristiques de certains de ces partis, cela pourrait encore entraîner des complications pour l’Europe au niveau supranational.
La liste des risques géopolitiques se renouvelle continuellement. Doit-on s’attendre à des troubles importants après les élections au Brésil ? Les aspirations de la Russie à bâtir un empire pourraient-elles amener le pays à s’approprier une plus grande partie de l’Arctique, ce qui aurait des conséquences pour le Canada ? Les accrochages entre la Chine et l’Inde – les deux pays les plus peuplés du monde – pourraient-ils dégénérer en guerre totale ? Les pays émergents pourraient-ils s’en prendre au monde développé, en exigeant d’énormes réparations financières pour les dégâts causés par le changement climatique ?
Peu de ces scénarios sont susceptibles de se produire à court terme, et il est généralement déconseillé d’investir en se fondant principalement sur des risques géopolitiques. Mais de temps à autre, ceux-ci finissent par prendre beaucoup d’importance, comme durant la période qui a précédé l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
– Avec la contribution de Vivien Lee, de Vanessa Adamset et d’Aaron Ma
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