Au début de 2023, les États-Unis ont atteint leur limite de la dette (aussi appelée plafond de la dette). Le plafond de la dette correspond au montant total que le gouvernement des États-Unis est autorisé à emprunter pour s’acquitter de ses obligations juridiques existantes, y compris les prestations de sécurité sociale et d’assurance maladie, les salaires du personnel militaire, les intérêts sur la dette publique, les remboursements d’impôt et d’autres paiements1.
Le report du relèvement du plafond de la dette crée de l’incertitude sur les marchés financiers. Les événements passés liés au plafond de la dette, notamment en 2011, ont provoqué des perturbations de la liquidité sur le marché du Trésor américain et ont fait augmenter la volatilité sur l’ensemble des marchés mondiaux. Heureusement, les problèmes de liquidité des titres du Trésor se sont limités aux obligations arrivant à échéance dans la période où l’on pensait que le risque de défaillance était le plus élevé. La demande des obligations hors de cette « zone de défaillance a été en fait plus forte et la liquidité de ces titres, plus importante, car toute défaillance technique du Trésor américain était censée (et est encore censée) être de courte durée1.
Cette fois-ci, on prévoit que la zone de défaillance se trouvera au troisième trimestre de 2023. En janvier, le Trésor américain a annoncé qu’il avait atteint le plafond actuel de la dette (31 400 milliards $) et qu’il avait pris des mesures exceptionnelles pour s’assurer que le gouvernement fédéral continue à rembourser ses dettes. Ces mesures sont essentiellement des astuces comptables que le Trésor américain est autorisé à employer et qui impliquent des initiatives telles que la suspension de certains programmes de placement et du réinvestissement dans des titres du Trésor à émission spéciale, afin d’être en mesure de répondre à d’autres obligations. La secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a déclaré au Congrès que la durée exacte de ces mesures était incertaine, mais qu’il était peu probable qu’elles se terminent avant juin. Le montant que le Trésor perçoit au titre de l’impôt sur les particuliers en avril et de l’impôt sur les sociétés en juin aura aussi une incidence importante sur le délai. À mesure que ces sommes seront perçues, la date de défaillance deviendra plus certaine et la zone de défaillance se rétrécira.
La tension n’est pas nouvelle. Le plafond de la dette fait partie de la procédure du gouvernement depuis les années 1950. Tant les républicains que les démocrates ont exploité ce sujet pour accuser l’autre parti d’être irresponsable sur le plan budgétaire. En réalité, le plafond ne touche que la capacité du gouvernement à payer les dettes existantes. En fait, le Congrès a agi à 78 reprises depuis 1960 pour tenir compte de l’augmentation du niveau de la dette publique des États-Unis. Sans cette intervention, le Trésor américain manquerait à ses obligations juridiques. Une telle situation, qui aurait des conséquences désastreuses et créerait des turbulences sur les marchés mondiaux, pourrait faire basculer l’économie des États-Unis dans une récession.
Malgré les inconvénients d’un non-relèvement du plafond de la dette des États-Unis, les membres du Congrès ont récemment profité de l’atteinte de cette limite dans leur lutte pour obtenir des concessions en faveur d’autres causes, notamment des réductions budgétaires et des diminutions des dépenses publiques. Ces manœuvres politiques ont amené le pays au bord de la défaillance plusieurs fois. L’épisode le plus marquant s’est produit en 2011, année où les négociations se sont étirées jusqu’aux derniers moments et se sont finalement conclues par l’adoption de la Budget Control Act (loi sur le contrôle budgétaire) de 2011. Dans la foulée de ce tumulte, Standard & Poor’s (S&P) a abaissé pour la première fois la cote de crédit des États-Unis, et les marchés de titres de créance et d’actions se sont effondrés.
Actions et titres de créance - Été 2011
Taux des obligations du Trésor à 10 ans - Été 2011
La situation actuelle ressemble fort à celle de 2011. Le gouvernement des États-Unis est à nouveau divisé : les républicains sont majoritaires à la Chambre des représentants, tandis que les démocrates ont la main haute sur le Sénat et la présidence. Le président de la Chambre des représentants doit une fois de plus composer avec une petite minorité très bruyante au sein de son propre parti, qui cherche à profiter au maximum de la conjoncture. Cette fois- ci, la différence essentielle réside toutefois dans le fait que la majorité des républicains à la Chambre des représentants est beaucoup moins importante. L’affrontement de 2011 s’est déroulé après d’énormes progrès du parti lors des élections de mi-mandat alors que maintenant, le caucus républicain qui soutient le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, est beaucoup moins uni. Entre-temps, les démocrates ont maintenu jusqu’à présent qu’ils ne feraient pas de concessions sur le plafond de la dette. Compte tenu de cette dynamique politique, il est difficile de prédire de quelle manière la question sera dénouée.
Taux des bons du Trésor américain - Été 2011
Compte tenu de l’histoire récente des épisodes liés au plafond de la dette et des prévisions selon lesquelles le présent scénario pourrait être plus délicat, nous devrions nous préparer en vue de la probabilité qu’une entente survienne encore une fois en dernière heure ou même juste après le point de défaillance. Selon nous, il est difficile d’éviter complètement les titres du Trésor et cette stratégie n’est peut-être pas la meilleure. Par exemple, en août 2011, nous avons constaté un creusement important des écarts pour tous les types de titres, des billets de trésorerie aux billets à escompte des agences, et ce, parfois sans enchères. Alors que l’on ne pouvait pas y échapper en 2011, l’expérience de 2013 a été un peu plus modérée pour les actifs à risque. Cependant, la situation a été pire pour les titres du Trésor arrivant à échéance en fin d’octobre et au début de novembre (la « période de défaillance de cette année-là). Il est important de noter que les titres du Trésor dont on craint le plus la défaillance se négocient toujours, mais à des prix inférieurs à ceux de titres à échéance différente qui suscitent moins d’inquiétude. Même les obligations arrivant à échéance quelques semaines plus tard n’ont connu que peu d’interruptions dans les échanges. Soulignons aussi que jamais au cours d’un épisode antérieur, les titres du Trésor ne se sont négociés à des niveaux évoquant de grandes tensions. Les écarts acheteur- vendeur se sont considérablement creusés en raison de l’illiquidité des titres risquant de ne pas être remboursés, et non à cause d’une quelconque crainte de défaillance de crédit ou de redressement.
Il est également important de tenir compte du portrait global de l’économie et des marchés financiers. Contrairement à ce qui s’est produit en 2011, cette fois-ci, la Réserve fédérale américaine (Fed) et d’autres banques centrales à l’échelle mondiale se sont engagées à adopter de vigoureuses mesures de resserrement monétaire, afin de lutter contre une inflation persistante. Ces politiques ont poussé les taux d’intérêt à la hausse et entraîné un resserrement considérable des conditions financières. En 2011, le monde continuait de se relever de la grande crise financière et les banques centrales appliquaient une politique beaucoup plus expansionniste. Aujourd’hui, on craint que le resserrement des conditions provoque une récession en 2023. Jusqu’à présent, l’économie des États-Unis a fait preuve de résilience, mais une récession, conjuguée à l’incertitude liée à une défaillance de ce pays, ferait sans aucun doute grimper la volatilité.
En résumé, une défaillance des États-Unis serait considérée comme un événement touchant la liquidité, et non la solvabilité. Les porteurs d’obligations récupéreront le capital et les intérêts courus dès le relèvement du plafond de la dette et la restauration de la stabilité des marchés financiers. Toutefois, les retombées sur d’autres marchés sont difficiles à prévoir et ajouteront de l’incertitude à un moment où l’économie des États-Unis pourrait être plus fragile. Nous en concluons que dans un scénario de défaillance particulièrement grave des États-Unis, les refuges se font rares, mais que les titres du Trésor américain devraient continuer d’enregistrer les meilleurs rendements relatifs.