Au cours des dernières décennies, les marchés des capitaux ont évolué ; ils se sont élargis et ont atteint un niveau d’interconnexion jamais vu auparavant. Les investisseurs ont désormais accès à un large éventail de catégories d’actif et d’opportunités mondiales dont ils peuvent tirer parti pour créer des portefeuilles plus robustes. Toutefois, malgré cette expansion sans précédent et la mondialisation de la plupart des portefeuilles d’actions et de placements alternatifs, les investisseurs continuent de favoriser les obligations domestiques dans leur portefeuille de titres à revenu fixe. À notre avis, les titres à revenu fixe mondiaux sont sous-exploités, alors qu’ils pourraient jouer un rôle important dans la répartition d’actif à long terme des investisseurs.
L’ensemble d’opportunités d’investissement en titres à revenu fixe mondiaux
Il est normal que les investisseurs se tournent en premier lieu vers le marché de leur pays pour déterminer où placer leur capital: ils sont familiers avec les émetteurs et le contexte économique, ce qui peut être rassurant. Dans le cas des placements à revenu fixe, les investisseurs sont particulièrement susceptibles de choisir des titres d’entités domiciliées dans leur pays, quel qu’il soit. En fait, environ 70 %1 des titres de créance en circulation dans le monde sont détenus par des personnes vivant dans la région où ils ont été émis. Pour être en mesure de déterminer si un tel biais local est sous-optimal, nous devons d’abord définir l’ensemble d’opportunités mondial réellement à la portée de l’investisseur moyen. C’est pourquoi nous ne parlerons pas, dans cet article, des titres de créance difficilement accessibles ou négociables. Nous nous concentrerons plutôt sur les titres liquides inclus dans les indices de référence des marchés publics.
Nous avons créé un échantillon représentatif suffisamment large du marché mondial des titres à revenu fixe au moyen des titres compris dans les indices de référence traditionnels, que nous avons répartis dans trois grands groupes : titres de marchés développés (MD), titres de marchés émergents (ME) et titres à rendement élevé (RE). Comme le montre la figure 1, la valeur marchande de ces trois segments s’élève à 59 000 milliards de dollars US et leurs caractéristiques sont très différentes. Ainsi, le segment des marchés émergents comprend le plus de pays émetteurs (au-delà de 80), tandis que celui des marchés développés compte le plus grand nombre de titres (au-delà de 26 000) parmi lesquels les investisseurs peuvent choisir. Le segment à rendement élevé est plus concentré dans les titres à court terme que les autres ; de plus, ce segment et celui des marchés émergents offrent des rendements à échéance nettement supérieurs à celui des obligations de marchés développés. Ce dernier point est particulièrement pertinent, étant donné que le faible niveau des taux d’intérêt au niveau mondial a rendu difficile l’atteinte des objectifs à long terme des investisseurs institutionnels. Cette différence entre les rendements à échéance explique probablement pourquoi un nombre grandissant d’investisseurs ont commencé à explorer les obligations mondiales, principalement à l’aide de placements satellites en obligations des marchés émergents et à rendement élevé.
Figure 1 : Le marché mondial des obligations2
L’augmentation du rendement à échéance du portefeuille de titres à revenu fixe constitue un objectif important pour les investisseurs. Toutefois, il est tout aussi important d’y parvenir en assurant une diversification optimale du portefeuille. Même si les investisseurs institutionnels ont commencé à s’intéresser aux marchés mondiaux, principalement en quête d’un rendement à échéance plus élevé, leur biais local demeure fort. En outre, leur attention se focalise sur les obligations des marchés émergents et les obligations à rendement élevé. Or, à eux deux, ces segments représentent seulement 9 % de l’univers investissable. Comme les 91 % restants du domaine des titres à revenu fixe sont dominés par les titres de marchés développés (qui représentent 54 000 milliards de dollars US en obligations de haute qualité d’États et de sociétés), le biais local peut s’avérer particulièrement contraignant, selon l’endroit où se trouve l’investisseur et ses objectifs. Cette contrainte peut engendrer une importante source de risques inutiles ou une surexposition à un mince échantillon de facteurs. Par conséquent, le reste de cet article est consacré aux opportunités présentes dans le secteur des titres à revenu fixe de haute qualité des marchés développés.
La sous-catégorie des titres à revenu fixe mondiaux de marchés développés
La figure 2 montre la répartition géographique du secteur des titres à revenu fixe de haute qualité des MD, ainsi que les profils généraux des rendements à échéance et d’échéance des six principales régions. Le diagramme permet de voir facilement les limites que s’imposerait un investisseur canadien se limitant à son marché local, mais aussi la part disproportionnée qu’occuperait le Canada dans le volet de titres à revenu fixe d’un portefeuille, compte tenu de la capitalisation boursière du pays par rapport au marché mondial. Dans le cas du Canada, l’effet est très prononcé, étant donné sa taille de marché relativement petite. Cependant, même dans une région plus importante, comme aux États-Unis, où un investisseur aurait accès à presque la moitié du marché en maintenant un biais local, une part non négligeable des opportunités est laissée de côté. Par conséquent, peu importe le pays de l’investisseur, l’ensemble d’opportunité du marché mondial sera toujours beaucoup plus grand, et en investissant au-delà de ses frontières, la surexposition à un ensemble unique de facteurs de risque pourra être considérablement réduite.
Figure 2 : Le marché mondial des obligations émises par les pays développés
La figure 3 présente la répartition du marché des titres à revenu fixe de haute qualité des MD selon les secteurs et la qualité. Une fois encore, on constate d’importantes différences entre les marchés; ils sont parfois fortement concentrés dans quelques secteurs, ce qui peut entraîner une surexposition involontaire à certains facteurs de risque bien précis. Par exemple, un investisseur américain (A) qui choisit exclusivement des titres à revenu fixe des États-Unis est susceptible de détenir plus d’obligations de sociétés que la pondération idéale, de sorte que son portefeuille sera plus risqué que voulu. De son côté, un investisseur japonais (B) qui maintient un biais local devra se contenter essentiellement d’obligations d’État aux taux très bas et générant des rendements probablement insuffisants pour atteindre ses objectifs. Dans le cas d’un investisseur canadien (C), le fait de se limiter au marché local réduira le potentiel de diversification sectorielle. Bien qu’il soit possible de pallier ces biais structurels sans sortir du marché local, il s’agit d’une tâche qui peut s’avérer extrêmement difficile dans certains cas et demeure inutilement contraignante dans d’autres.
Figure 3 : Le marché mondial des obligations de pays développés détaillé par secteur et qualité
À noter également à la figure 3 que le marché des obligations d’État (D) représente la majeure partie des émissions de titres à revenu fixe des MD, selon la valeur marchande. La figure 4 donne des précisions sur ce segment du marché. Elle illustre l’ampleur des différences entre les principaux pays émetteurs en ce qui concerne le nombre de titres (indiqué dans le graphique), le niveau des taux, la profondeur du marché et la pente de la structure à terme. On constate aussi que certains marchés sont plus restreints que d’autres. Ainsi, un investisseur canadien pourrait faire son choix parmi un total de seulement 35 titres, peu d’entre eux dépassant une durée de dix ans. L’ensemble d’opportunités mondiales est considérablement plus étendue (1 033 au total3) et permet d’obtenir une sensibilité aux taux d’intérêt plus équilibrée. En outre, les courbes de taux et les politiques monétaires qui influent sur les obligations d’État composant l’univers mondial ne sont pas toutes les mêmes. Par conséquent, élargir son horizon peut réduire la sensibilité à un marché de taux d’intérêt donné et, potentiellement, de bénéficier des avantages de diversification (pourvu qu’il ne soit pas nécessaire de couvrir des risques de taux d’intérêt particulier).
Figure 4 : L’univers mondial des obligations d’État
L’écart entre les régions observé à la figure 4 découle de plusieurs facteurs à l’œuvre dans ces régions. Par exemple, les taux d’intérêt sont nettement plus élevés en Amérique du Nord que dans les autres économies représentées, comme celles de l’Europe et du Japon. Ce contraste résulte principalement des conditions économiques divergentes et des politiques et mesures que les banques centrales ont adoptées en conséquence : la croissance de l’économie américaine a incité la Réserve fédérale à augmenter ses taux jusqu’à récemment, tandis que la Banque centrale européenne a réduit les siens en vue de stimuler une économie en pleine décélération. Les différences structurelles, comme la situation démographique, constituent une autre source de divergence. Aux États-Unis et au Canada, la population en âge de travailler a augmenté, ce qui a contribué à une expansion économique plus forte, alors qu’en Europe et au Japon, le vieillissement de la population a causé un ralentissement de la croissance, une hausse de l’épargne et une diminution des investissements en capitaux. Selon les régions, ces divers facteurs ont eu des effets à la fois positifs et négatifs à moyen terme. Néanmoins, le fait demeure que le biais local contraint l’investisseur à s’exposer à un nombre de facteurs de risques limité, susceptible de donner des résultats sous-optimaux, surtout à long terme.
Les effets potentiels d’adopter une vision mondiale en revenu fixe
En vertu de la persistance du faible taux d’intérêt, bon nombre d’investisseurs ont choisi d’investir à l’échelle mondiale en quête de rendement à échéance plus élevés. En général, ceci a résulté à de faibles allocations à des stratégies spécifiques, comme celles visant les obligations à rendement élevé et les titres de créance des marchés émergents. Toutefois, malgré l’existence d’une opportunité mondiale étendue et accessible, les portefeuilles de titres à revenu fixe demeurent axés, que ce soit volontaire ou non, sur des investissements locaux. Après avoir défini le marché mondial des titres à revenu fixe et examiné la diversité des opportunités offertes, nous sommes d’avis que les investisseurs qui ne prennent pas en considération l’ensemble du marché et conservent un biais local se privent d’opportunités potentiellement considérables, notamment les suivantes :
- Accès à plus de 30 000 titres d’une valeur marchande de 59 000 milliards de dollars US, émis par plus de 4 000 émetteurs situés dans une centaine de pays4
- Possibilité d’augmenter le rendement à échéance et d’accéder à différentes structures à terme
- Possibilité de réduire les biais, les concentrations ou les risques propres au marché local
- Possibilité de profiter de situations économiques, budgétaires, inflationnistes et démographiques diversifiées
Ces caractéristiques sont toutes attrayantes, mais il reste à savoir si elles se traduisent véritablement par des mesures de rendement et de risque supérieures.