Après plus d’une décennie de vigueur, les données pointent de plus en plus vers le fléchissement du dollar américain. Les variations cycliques à long terme de la valeur du dollar ont tendance à être bien définies et peuvent durer jusqu’à dix ans. Qu’est-ce qui cause l’affaiblissement du dollar américain maintenant ? Quelles sont les perspectives et que signifient-elles pour les investisseurs ?
Commençons par fournir un peu de contexte. La valeur des devises est largement fonction des flux de capitaux. Des milliers de milliards de dollars de devises sont échangés chaque jour sur les vastes marchés des changes. L’argent a tendance à affluer dans les devises dont les perspectives économiques sont les plus brillantes, où les marchés boursiers sont les plus attrayants et où les obligations offrent le plus de rendement.
Le cycle précédent du dollar américain a duré 12 ans, de 2011 à 2022. Il a vu une remontée du dollar qui l’a fait passer de 20 % moins cher à 30 % plus cher que sa juste valeur selon la parité des pouvoirs d’achat. Cette vigueur du dollar américain s’est d’abord accentuée en raison de l’incertitude économique pendant la pandémie, puis de la hausse de l’inflation qui a déclenché le cycle de hausse marquée des taux par la Réserve fédérale.
Les spécialistes des devises de RBC GMA estiment que cette longue période de vigueur du dollar américain s’est terminée à la fin de l’année dernière et qu’il est maintenant entré dans une période de faiblesse qui s’échelonnera sur plusieurs années par rapport à la plupart des autres devises. Depuis ce sommet, le dollar a perdu 9 % après pondération en fonction des échanges et plus de 20 % par rapport à certaines devises.
Le dollar américain a tendance à fluctuer durant les cycles à long terme
Sources : RBC GMA et Macrobond. Données au 30 juin 2023.
Valorisations des devises au début et à la fin de la reprise cyclique du dollar
Source : RBC GMA. Données d’avril 2011 et de septembre 2022. D’après les estimations de juste valeur selon la parité des pouvoirs d’achat. $ US pond. éch. comm. = dollar américain pondéré en fonction des échanges commerciaux, CHF = franc suisse, NZD = dollar néo-zélandais, AUD = dollar australien, CAD = dollar canadien, GBP = livre sterling, EUR = euro, NOK = couronne norvégienne, SEK = couronne suédoise, JPY = yen japonais.
Qu’est-ce qui explique le déclin du dollar américain ?
Quelques facteurs principaux expliquent la faiblesse du dollar américain au cours des neuf derniers mois et nous portent à croire qu’il s’affaiblira davantage :
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Déficits commerciaux et budgétaires. Les États-Unis enregistrent des déficits budgétaires depuis des décennies, dépensant plus que ce qu’ils gagnent pour financer d’énormes dépenses de sécurité sociale (2 800 milliards par an), les programmes Medicare (1 500 milliards par an) et les dépenses militaires (800 milliards par an). Pendant ce temps, les Américains consomment chaque année plus de biens étrangers que ce que le pays exporte. Ce double déficit s’élève ainsi à quelque 10 % du PIB. Il s’agit là d’une combinaison intenable, même si le dollar américain est en demande auprès d’entreprises internationales participant à des échanges commerciaux et de gouvernements désireux de détenir des réserves de change en guise de protection contre les fluctuations des taux de change nuisibles à l’économie. L’augmentation des emprunts et la hausse des taux d’intérêt font augmenter le coût du service de la dette. Cela fait grimper le déficit budgétaire et réduit les ressources pouvant être affectées à des secteurs productifs de l’économie.
Dans cette optique, les investisseurs pourraient commencer à se demander si la devise devrait se négocier à si fort prix. Les récentes nouvelles concernant la difficulté d’augmenter le plafond de la dette aux États-Unis n’ont pas renforcé la confiance dans la capacité des politiciens à composer avec les déficits.
Relation à long terme entre le double déficit et le dollar américain
Sources : RBC GMA, Bloomberg. Données au 30 juin 2023.
- Tensions du système bancaire américain et contre-performance économique connexe. La faillite de la Silicon Valley Bank et d’une poignée d’autres banques régionales américaines a fait craindre une nouvelle faiblesse dans le secteur bancaire du pays. Bien que ces préoccupations semblent s’être atténuées, les effets de ces faillites pourraient se faire sentir pendant de nombreuses années. Bon nombre de petites et moyennes entreprises, au cœur de l’économie américaine, dépendent des banques régionales américaines pour obtenir des prêts. Moins de banques ou des banques ayant des problèmes de bilan signifie que les conditions de crédit plus strictes pourraient être maintenues pendant une période prolongée. Cette situation freine l’activité économique et pourrait ralentir la croissance aux États-Unis, ce qui ferait perdre de la valeur au dollar américain.
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Trajectoire possible des taux d’intérêt. La Réserve fédérale a rapidement relevé les taux d’intérêt en 2022 en réponse à une inflation obstinément élevée et à des attentes qui risquaient de s’écarter de la cible de la banque centrale. La Banque du Canada lui a emboîté le pas. D’autres banques centrales de pays développés, comme la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque d’Angleterre, sont moins dynamiques. Les hausses de taux dans ces régions devraient dépasser celles de l’Amérique du Nord au cours des prochains mois, ce qui permettra de mieux aligner les taux d’intérêt et d’accroître la valeur des devises comme l’euro au détriment du dollar américain
La Réserve fédérale est plus proche de la fin de son cycle de hausse des taux que les autres banques centrales
Sources : RBC GMA, Bloomberg. Au 30 juin 2023.
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Dédollarisation. Le terme désigne l’abandon progressif du dollar américain en tant que principale devise utilisée dans le commerce international et l’investissement mondial. Cela a soulevé la question de savoir si le dollar américain continuera d’être la principale devise de réserve à l’échelle mondiale – la devise que les autres pays et les entreprises internationales détiennent et utilisent le plus souvent pour leurs échanges commerciaux. Bien que ce processus puisse prendre plus de temps que la dépréciation du dollar américain, qui devrait s’étendre sur plusieurs années, il pourrait exercer des pressions continues sur les valorisations. Il faut généralement des décennies pour qu’une nouvelle devise de réserve n’émerge. Toutefois, la volonté de la Chine d’assouplir les contrôles sur les devises, de développer son système financier et d’y donner accès laisse croire à des progrès.
Plusieurs facteurs ont accéléré le mouvement actuel vers la dédollarisation. Notons les sanctions imposées par le G7 à la Russie, des nouvelles selon lesquelles plusieurs pays (comme le Brésil et l’Argentine) cherchent à abandonner le dollar pour leurs échanges commerciaux, et des rapports qui portent à croire que la part du dollar a reculé dans les réserves de change mondiales.
La vigueur à court terme du dollar américain est possible en cas de récession plus sévère que prévu. En période d’incertitude économique et de marché, les investisseurs se tournent vers la sécurité des effets du Trésor américain, et l’achat d’actifs américains qui en découle tend à soutenir le dollar américain.
Toutefois, ces réactions spontanées sont souvent de courte durée et seraient particulièrement éphémères cette année, étant donné que le dollar américain se négocie à des niveaux très élevés. Si l’on se fie à la survalorisation actuelle du dollar américain, l’histoire nous indique la possibilité d’une longue période de faiblesse qui ferait chuter le dollar de façon importante, le faisant passer de très cher à en deçà de sa juste valeur.
Cinq stratégies pour les investisseurs
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Couvrir le risque de change des titres à revenu fixe : Les devises sont sujettes aux fluctuations rapides et à la volatilité. La couverture permet de réduire les effets de la fluctuation des devises sur le rendement des placements. Tout risque de change important non couvert tend à dominer le rendement du portefeuille. Cette influence des devises est particulièrement notable dans les fonds de titres à revenu fixe, car les obligations sont habituellement moins volatiles que les devises.
Une étude sur le risque de change non couvert de portefeuilles de titres d’État mondiaux à revenu fixe entre janvier 1985 et mars 2023 a révélé que la fluctuation mensuelle des devises était responsable de 91 % des variations mensuelles. Au cours de cette période de 38 ans, les investisseurs qui ont choisi de couvrir le risque de change ont obtenu des rendements annuels semblables à ceux des portefeuilles non couverts, mais des rendements beaucoup plus stables.
Ces données donnent à penser deux choses :
- La couverture du risque de change est toujours importante pour les investisseurs en titres à revenu fixe.
- La couverture (pour les investisseurs canadiens qui achètent des obligations américaines) est encore plus importante lorsque l’on s’attend à ce que le dollar américain fléchisse.
Historiquement, un portefeuille de titres à revenu fixe couvert a produit des rendements plus constants
Sources : RBC GMA, Citigroup. Au 31 mai 2023.
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Considérer les obligations de marchés émergents (ME) : Lorsque le dollar américain glisse, les écarts des obligations de ME tendent à diminuer. Les écarts représentent la différence de rendement entre les obligations de ME et les obligations d’État américaines. Le rendement des investisseurs est généralement plus élevé lorsque l’écart se resserre. En effet, l’effritement du dollar se traduit par des coûts d’emprunt externes moins élevés pour les pays émergents et une probabilité de défaillance moindre. Avec des taux plus élevés que ceux des obligations d’État américaines ou canadiennes, les titres de créance de ME offrent un potentiel de rendement supplémentaire aux investisseurs, et le glissement du dollar américain accroît la probabilité que ces obligations de ME inscrivent un rendement supérieur.
Le tableau ci-dessous illustre le rendement du dollar américain (suivi par l’indice DXY) en fonction de l’évolution des écarts des obligations de ME.
À mesure que le dollar américain s’apprécie, les écarts des obligations de ME se creusent – et vice versa
Sources : RBC GMA, Bloomberg. Au 30 juin 2023.
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Explorer les actions internationales et de ME : À mesure que le cycle économique mondial s’améliore, le dollar américain tend à s’affaiblir. Cela s’explique par le fait que les capitaux sont affectés à des secteurs dont le potentiel de croissance est perçu comme plus important. En outre, les actions internationales obtiennent souvent de meilleurs rendements lorsque l’économie se redresse en raison de leur plus forte présence dans les secteurs cycliques – les biens de consommation, le logement et les articles de luxe, par exemple.
Leurs valorisations étant relativement attrayantes, les actions internationales pourraient maintenant être en bonne position pour surperformer. De même, les actions de marchés émergents ont tendance à bien se comporter pendant les périodes de faiblesse du dollar américain. Les sociétés de ME peuvent être soutenues par les échanges commerciaux et la politique budgétaire, ainsi que par des valorisations relativement attrayantes.
Lorsque la croissance mondiale s’accélère, les actions internationales ont tendance à surperformer
Sources : Bloomberg, RBC GMA. Au 31 mai 2023.
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Privilégier les sociétés qui génèrent leurs revenus en devises : Les sociétés établies aux États-Unis qui produisent des revenus en devises connaissent une hausse à mesure que le dollar américain s’affaiblit. Leurs bénéfices augmentent sur une base relative. Bien entendu, il faut examiner cette possibilité avec soin, car certaines sociétés peuvent couvrir leur risque de change. Cela pourrait éliminer tout avantage potentiel de l’évolution du taux de change. Les gestionnaires de portefeuille de RBC GMA tiennent régulièrement compte de cette relation dans la constitution de leur portefeuille.
Certains secteurs aux États-Unis sont plus axés sur les marchés internationaux que d’autres
Sources : RBC GMA, Bloomberg. Données au 31 décembre 2022.
- Couvrir les actifs libellés en dollar américain : Comme les investisseurs canadiens l’ont constaté durant les périodes de 2002 à 2011 puis de 2012 à 2022, la fluctuation des devises joue un rôle important dans les rendements globaux. La couverture des actions américaines peut s’avérer profitable alors que le dollar américain se déprécie par rapport au dollar canadien. Il est généralement préférable pour les investisseurs de tenir compte de ces cycles plutôt que de les ignorer. Bien que plusieurs investisseurs puissent avoir de la difficulté à couvrir leur risque de change eux-mêmes en raison de la complexité de l’opération, bon nombre d’institutions financières, de sociétés de fonds communs de placement et de fournisseurs de FNB offrent des solutions avec couverture intégrée, ce qui leur facilite grandement la tâche.
Incidence du dollar US sur les rendements non couverts des investisseurs canadiens
Sources : RBC GMA, Bloomberg. Données du 31 décembre 2001 au 31 décembre 2022.
Comme de plus en plus de signes indiquent que le dollar américain vient d’entrer dans une période de faiblesse qui s’échelonnera sur plusieurs années, il est essentiel d’examiner de près toutes les répercussions que ce changement pourrait avoir sur les portefeuilles des investisseurs.
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