Par Stuart Kedwell, CFA
Au début de ma carrière, on m’a demandé de préparer des rapports financiers comparant diverses entreprises afin que les cadres puissent les consulter durant leurs réunions. Après l’examen de l’un de ces rapports, un cadre m’a posé une question simple, une question devant transformer à jamais ma façon de voir les bilans.
« Quelle est la valeur de l’entreprise ? », a-t-il demandé. J’avais bien indiqué une valeur dans mon rapport, mais, dans les faits, je ne connaissais pas sa véritable signification. Fort heureusement, ce cadre très aimable m’a expliqué que la valeur de l’entreprise (VE) correspondait à la valeur totale de l’entreprise. Une formule simple permet de l’exprimer :
VE = Ensemble des actions en circulation × Cours de l’action + Dette
J’ai tiré une bonne leçon de tout cela, car j’ai compris l’importance que peut avoir le bilan d’une société pour les investisseurs. J’ai me suis également rappelé que la dette et les coûts s’y rapportant sont des éléments dont doivent tenir compte les investisseurs avant d’envisager l’achat d’actions d’une entreprise. Cela est d’autant plus vrai dans un contexte de taux d’intérêt élevés et de hausse du coût de la dette, comme on le voit actuellement.
Un bilan est un état financier énonçant l’ensemble des actifs et passifs d’une société. Il est donc essentiel pour chaque investisseur de bien le comprendre. La structure du bilan d’une société et le montant des intérêts que paie cette dernière sur sa dette peuvent avoir une grande incidence sur le flux de trésorerie de la société et, en définitive, sur le cours actuel et à venir de l’action.
Il est possible d’examiner les bilans de différentes manières, mais voici les éléments captivant le plus mon attention, surtout dans un contexte de hausse des taux.
1. Comprendre l’effet de levier et les valorisations
La valorisation est l’un des paramètres qu’il faut comprendre. Il s’agit fondamentalement d’une estimation de la valeur de l’entreprise. Il existe bien des façons d’établir la valorisation d’une société, mais l’objectif demeure le même, soit d’aider les investisseurs à déterminer si le cours de l’action est juste ou bien trop élevé ou trop bas.
La plupart des investisseurs souhaitent acheter des actions sous-évaluées dans l’espoir de profiter d’une hausse de leur cours au fil du temps. D’autres n’ont aucun problème à acheter des actions coûteuses, à condition que l’entreprise présente des perspectives soutenues de croissance pour permettre une hausse continue du cours de ces actions dans l’avenir.
La valorisation et la dette vont de pair. En général, les sociétés lourdement endettées ont une valorisation inférieure à celle des sociétés sans aucune dette, parce que l’investisseur doit assumer le risque d’un non-remboursement de ces emprunts. En outre, lorsqu’une entreprise est endettée, elle doit prendre une part des sommes consacrées à ses activités pour rembourser les emprunts et les intérêts. (Une dette n’est pas nécessairement une mauvaise chose, puisqu’elle peut servir à financer la croissance. Il faut toutefois la rembourser.)
Dans cette optique, il faut donc répondre à une question cruciale avant d’acheter des actions d’une société : De combien d’argent l’entreprise dispose-t-elle ? En d’autres termes, dans quelle mesure une entreprise peut-elle croître et étendre ses activités rentables ? Ici encore, nous pouvons recourir à une formule simple et utiliser le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA) à titre de flux de trésorerie :
Liquidités disponibles pour rembourser la dette et les capitaux propres = VE ÷ BAIIA
(bénéfice avant intérêts,impôts et amortissements à titre de flux de trésorerie)
Ce paramètre est important pour les sociétés ayant davantage de dettes dans leurs livres, car elles peuvent ressentir de façon disproportionnée les fluctuations de leur valorisation. Prenons l’exemple d’un titre sans aucune dette (c.-à-d. VE entièrement constituée d’actions de participation). La diminution de son ratio VE/BAIIA de 10 à 9 représenterait donc un recul de 10 % de la valeur de l’action. Si une chose identique survenait à une société ayant la même VE, mais constituée cette fois-ci à 70 % de dettes (c.-à-d. VE composée seulement à 30 % d’actions de participation), la baisse de la valorisation serait beaucoup plus marquée.
Dans les deux cas, la valeur de l’entreprise diminuerait de 10 %, mais le cours de l’action de la société endettée serait plus durement touché, simplement en raison de la dette inscrite dans son bilan.
2. Tenir compte de l’effet des taux d’intérêt sur les valorisations
Après avoir compris l’ampleur de la dette d’une société, on peut commencer à réfléchir à l’incidence d’une hausse des taux d’intérêt sur les flux de trésorerie et les valorisations au fil du temps. En pareil cas, le paramètre important est le ratio dette/BAIIA. Ce ratio évalue le revenu disponible pour rembourser la dette avant de payer les intérêts, les impôts, l’amortissement et les coûts d’amortissement. Le voici exprimé à l’aide d’une formule simple :
Capacitéde'remboursement de la dette de la société = Dette de'la société ÷ BAIIA
Le ratio dette/BAIIA idéal varie selon le secteur, mais un ratio inférieur à trois est généralement considéré comme satisfaisant. Un résultat plus élevé pourrait susciter des inquiétudes quant à ce qui pourrait arriver à la valorisation en cas de hausse des taux d’intérêt – ou à l’effet d’une légère variation de la VE sur les valorisations.
3. Connaître l’effet de l’endettement sur différents secteurs
Il ne faut pas nécessairement écarter une entreprise fortement endettée. Par exemple, les titres des banques ont tendance à se négocier à un ratio cours/bénéfice de 9, 10 ou 11 fois les bénéfices, soit bien en deçà du niveau de négociation habituel du marché, lequel peut varier entre 15 et 17 fois les bénéfices. Le bas niveau de négociation des titres des banques s’explique par les énormes bilans de ces institutions. Les banques ont peut-être beaucoup de dettes, mais elles s’en servent extrêmement bien et elles sont soumises à une réglementation.
En ce qui concerne les sociétés de services publics, elles peuvent transférer aux clients les charges d’intérêts sur leur dette. Ainsi donc, à long terme, les inquiétudes ne sont pas les mêmes que celles éprouvées par un investisseur parce que l’entreprise sera remboursée.
Dans le secteur immobilier, les sociétés ont des emprunts à terme qu’elles doivent renégocier après une période donnée. Si leurs emprunts n’arrivent pas à échéance dans les cinq prochaines années, par exemple, il faut non seulement se demander si les sociétés peuvent rembourser les emprunts aujourd’hui, mais aussi dans l’avenir. Que se passera-t-il si elles renouvellent ces emprunts à des taux d’intérêt potentiellement plus élevés ? La hausse des loyers suffirait-elle à payer les dépenses plus élevées ?
Les sociétés de technologie et de produits de consommation ont habituellement moins recours à l’effet de levier. Elles peuvent augmenter les prix en période d’inflation afin de les aider à maintenir leurs marges et leurs flux de trésorerie.
En définitive, lorsque nous avons des discussions à long terme avec la direction, nous attendons d'elle qu'elle établisse une structure du capital tout au long du cycle. La structure du capital renvoie à la combinaison des capitaux propres et des dettes qu’une société utilise pour financer l’ensemble de ses activités. Les capitaux propres coûtent plus cher, mais ils sont aussi plus souples. La dette est moins onéreuse, mais il faut la rembourser ou la soumettre à un refinancement à un moment donné. Les entreprises doivent trouver la combinaison optimale. Quels que soient les taux d’intérêt, elles ont besoin d’une structure du capital leur permettant de résister aux situations comportant des taux d’intérêt faibles et élevés.
4. Prêter attention au BAIIA
Parmi tous les paramètres dont je tiens compte, le BAIIA est celui sur lequel je me concentre le plus. La seule exception concerne l’évaluation d’une banque ; je m’attarde alors aux ratios de capitaux propres et de liquidités. En termes simples, les sociétés ont besoin de liquidités. Les liquidités ressemblent à l’oxygène : quand il abonde, personne n’y songe ; quand il s’avère nécessaire, il occupe toutes les pensées.
5. Tirer avantage de l’écart
En général, nous ne voulons pas nous exposer de manière excessive aux sociétés ayant un niveau d’endettement trop important. Toutefois, dans certains cas, une telle exposition peut s’avérer sensée. Une hausse de l’endettement n’est pas toujours liée à la qualité de la société. Elle peut dépendre du moment où nous nous trouvons dans le cycle économique. En pareil cas, un investisseur de grande envergure comme RBC Gestion mondiale d’actifs peut investir dans une entreprise de manière à l’aider à redresser son bilan. Une telle situation peut produire d’importants rendements pour nous.
Comment ? Comparons une société à une maison. Vous paierez sans doute le prix fort pour une propriété sans aucune dette. Si vous deviez acquérir la maison et les dettes s’y rapportant, vous vous attendriez à ce que le prix soit moindre. Si je parviens à éliminer les dettes de cette propriété, cette dernière pourrait recouvrer sa véritable valeur. En tant que gestionnaire de fonds ayant beaucoup de capitaux à sa disposition, je peux tirer avantage de cet écart en achetant la propriété à un prix plus bas pour le revendre à un prix plus élevé.
L’investisseur moyen n’a pas pour but d’acheter une entreprise et de rembourser les dettes de cette dernière, mais il devrait tout de même effectuer les mêmes calculs. Si vous découvrez une société dont le ratio VE/BAIIA est faible, posez-vous la question suivante : « Si la société n’avait aucune dette et que j’avais payé 100 % de ses capitaux propres, quelle en serait la valeur ? ». Si vous êtes convaincu que l’entreprise peut vraiment rembourser ses dettes, vous feriez peut-être bien d’y investir.