Dans les parties I et II de notre série Investir dans les obligations mondiales, nous avons démontré qu’en adoptant une perspective mondiale, les investisseurs accèdent à un ensemble d’opportunités plus étendu et à une meilleure diversification, et que cela permet d’obtenir un profil de rendement ajusté au risque supérieur dans le segment du marché des obligations d’État. Dans cette troisième partie, nous examinons les caractéristiques du risque et du rendement historiques de la dernière composante du marché des titres mondiaux à revenu fixe : le crédit mondial. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur les obligations de sociétés mondiales de haute qualité; nous en détaillerons les caractéristiques pour ensuite les comparer à leurs équivalents sur les marchés domestiques. Deuxièmement, nous analyserons toutes les composantes du segment du marché de crédit (y compris les titres de marchés émergents et les obligations à haut rendement), en les comparant entre eux et avec les obligations d’État mondiales. Dans de prochains articles, nous aborderons le rôle des obligations mondiales pour des investisseurs ayant des objectifs différents, ainsi que les points à prendre en considération pour la gestion active et l’implantation de cette stratégie.
Contexte1
Dans notre dernier article, nous avons vu que la diversification inhérente à un portefeuille d’obligations d’État mondiales peut réduire considérablement la volatilité du rendement par rapport à un portefeuille limité aux obligations d’État domestiques. Cependant, l’amélioration du rendement n’est pas une caractéristique de ce portefeuille plus diversifié. Par contre, les obligations qui présentent un risque de crédit offrent généralement des rendements à échéance variables par rapport aux obligations d’État, comme l’illustre la figure 1.
Figure 1 : Prime de risque de crédit par segment de marché
Cette caractéristique des titres de crédit s’explique par le risque de défaut accru des émetteurs, dont la capacité à honorer les paiements est soumise à des contraintes plus grandes. Voici la description des trois catégories de titres de crédit que nous examinerons dans cet article :
- Obligations de haute qualité : Obligations émises par des sociétés jugées stables et en bonne situation financière, dont les activités sont soutenues et qui présentent un faible risque de manquer à ses obligations de versements (« bonne qualité »).
- Obligations à haut rendement : Obligations émises par des sociétés jugées moins stables, peut-être en raison de leur constitution plus récente, des niveaux de levier opérationnel élevés et d’autres difficultés financières, ce qui pose un plus grand risque de défaut (« qualité inférieure »).
- Obligations de marchés émergents : Obligations émises par des États ou des sociétés de pays émergents, dont les économies sont généralement moins développées et plus volatiles, qui présentent un risque d’instabilité politique et d’autres risques socio-économiques et politiques qu’on ne retrouve généralement pas dans les pays développés. (Note : Le rendement à échéance des obligations d’État en devise locale dépend davantage du risque d’inflation ou de dévaluation de la devise que du risque de défaut explicite.)
Avantages potentiels des obligations de sociétés mondiales de haute qualité
Pour chaque marché d’obligations d’État analysé précédemment, il existe un marché d’obligations de sociétés de catégorie investissement.2 La figure 2 illustre l’intervalle de rendements obtenus par les investisseurs pour leurs placements en obligations d’État et en obligations de sociétés émises dans leur pays. En ce qui concerne les obligations de sociétés, la dispersion des rendements est importante d’un pays à l’autre, comme pour les obligations d’État. Ce n’est pas étonnant, étant donné qu’en temps normal, les rendements des obligations de sociétés sont étroitement liés au risque de taux d’intérêt sous-jacent du marché visé. Bien entendu, dans des conditions de marché difficile, l’exposition aux écarts de crédit prend plus d’importance, comme le montre le graphique durant la grande crise financière. Dans l’ensemble, ces éléments indiquent que l’adoption d’une perspective mondiale dans le segment des obligations de sociétés d’un portefeuille de titres à revenu fixe peut être avantageuse. Cependant, comme indiqué dans la Partie II, un investisseur étranger ne peut pas obtenir directement ces rendements; il faut prendre en compte l’impact du risque de change et/ou de sa couverture.
Figure 2 : Dispersion des rendements d’un marché d’obligations de sociétés à l’autre*
Couverture du risque de change des obligations de sociétés mondiales de haute qualité
Quand on investit sur les marchés mondiaux, la possibilité de couvrir le risque de change est un des points à prendre en considération. Dans le cas des obligations d’État, la volatilité des taux de change est nettement plus forte que celle des taux d’intérêt. Par conséquent, pour profiter de rendements similaires à ceux obtenus localement ainsi que d’autres avantages, il est essentiel de couvrir le risque de change quand on investit dans ces titres. Pour ce qui est des obligations de sociétés, la volatilité des écarts de crédit génère un facteur de risque supplémentaire qui interagit avec les taux et les devises, conduisant potentiellement à une conclusion différente en matière de couverture du risque de change.
La figure 3 montre la distribution des rendements sur des périodes mobiles de 12 mois pour trois types de placements en obligations de sociétés mondiales : les rendements obtenus localement mais inaccessibles; les rendements sans couverture du risque de change et les rendements avec couverture du risque de change (pour un investisseur canadien). Les résultats montrent que la couverture du risque de change entraîne une distribution des rendements très semblable à celle des rendements obtenus localement et qu’on cherche à reproduire, tandis que l’exposition au risque de change accroît la volatilité et le risque. Par conséquent, tout comme pour les obligations d’État, en l’absence de points de vue spécifiques quant aux fluctuations des devises, les obligations de sociétés mondiales de haute qualité devraient également être couvertes contre le risque de change.
Figure 3 : Distribution des rendements des obligations de sociétés mondiales sur périodes mobiles de 12 mois
Profil risque-rendement des obligations de sociétés mondiales de haute qualité
Pour déterminer s’il existe des avantages à passer d’un portefeuille d’obligations de sociétés domestiques à un portefeuille mondial, on peut voir aux figures 4 et 5 les profils de rendement et de volatilité d’un portefeuille mondial couvert contre le risque de change et ceux des grands marchés domestiques d’obligations de sociétés.
Figure 4 : Comparaison des rendements des obligations de sociétés domestiques et mondiales
Figure 5 : Comparaison de la volatilité des obligations de sociétés domestiques et mondiales
Les résultats sont variables tant sur le plan des rendements à long terme que sur celui de la volatilité. Dans certains cas, le portefeuille d’obligations de sociétés domestiques a généré des rendements plus élevés que le portefeuille mondial couvert contre le risque de change et, dans d’autres, ils étaient légèrement inférieurs. De même, les portefeuilles domestiques sont moins volatiles dans certains cas et plus volatiles dans d’autres. Cette observation contraste avec ce que nous avions observé dans le segment des obligations d’État, où les rendements à long terme sont très similaires, mais la volatilité est plus faible qu’au niveau régional, peu importe les différences de durée. Les rendements des obligations d’État sont presque entièrement fonction du risque de taux d’intérêt. Ce n’est pas le cas des obligations de sociétés, plus hétérogènes, dont les écarts de crédit de haute qualité dépendent de différents facteurs :
- Cote de crédit : Le rendement à échéance additionnel engendré par l’écart de taux varie généralement beaucoup plus selon la cote de crédit de l’obligation. Une cote basse incite souvent les investisseurs à rechercher un rendement à échéance plus élevé en raison du risque de crédit supplémentaire et de la volatilité des prix qui en découle.
- Secteur : Certains secteurs sont plus sensibles aux fluctuations économiques mondiales et peuvent donc afficher une plus grande volatilité des prix (ce qui peut à la fois augmenter ou réduire les rendements, selon le stade du cycle économique), et ce, peu importe la cote sous-jacente.
- Émetteur : Différents émetteurs d’un même secteur et ayant une cote similaire peuvent présenter un risque qui leur est propre, susceptible d’influer sur le risque/ rendement d’une région, mais non sur celui d’une autre.
Ces différents facteurs peuvent expliquer une partie des différences entre régions dans les profils de rendement et de volatilité historiques. Ainsi, comparativement aux autres marchés d’obligations de sociétés, le Royaume-Uni affiche la durée la plus longue et la qualité moyenne la plus faible (selon la cote de crédit). Ces caractéristiques ont peut-être contribué aux rendements plus élevés et à la volatilité beaucoup plus forte qu’on y observe. À l’inverse, au Japon, les obligations de sociétés de meilleure qualité sont plus nombreuses et il n’y a aucun titre coté BBB. La situation joue sans doute un rôle dans les rendements et la volatilité inférieurs de ce marché par rapport au niveau mondial. Cependant, comme les mesures de rendement absolu et de risque peuvent varier, la comparaison des ratios rendement/volatilité peut s’avérer plus pertinente, comme on le voit à la figure 6. Ce graphique montre qu’en fait, selon la région, les différences entre un portefeuille d’obligations de sociétés domestiques et un portefeuille mondial couvert contre le risque de change sont généralement négligeables (à l’exception du Royaume-Uni). Autrement dit, le rendement ajusté au risque d’un portefeuille passif à long terme d’obligations de sociétés mondiales ne diffère pas beaucoup d’un portefeuille d’obligations de sociétés domestiques.
Figure 6 : Ratios rendement/volatilité
Comme durant un cycle de crédit à long terme, les rendements produits par les titres de différentes qualités, de secteurs et d’émetteurs différents peuvent monter ou baisser en fonction du contexte économique actuel, se confiner à un marché local, qui présente certains biais pour l’un ou l’autre de ces facteurs, comporte deux inconvénients potentiels. Premièrement, le rendement à long terme du marché local peut s’avérer inférieur à celui du marché mondial, un résultat impossible à anticiper. L’écart peut être particulièrement important pour les investisseurs non américains, car la vaste majorité des opportunités mondiales se trouve aux États-Unis. Deuxièmement, l’évolution des conditions économiques peut générer d’importantes opportunités à court terme sur divers marchés. Or, celles-ci ne peuvent être exploitées si on se limite au marché local. Par conséquent, l’avantage d’une perspective mondiale est la diversification des opportunités, surtout du point de vue de la gestion active (un sujet que nous aborderons en détail dans un prochain article). Les figures 7 et 8, qui représentent le comportement des divers marchés durant des périodes baissières, viennent appuyer cette idée.
Figure 7 : Rendement des obligations de sociétés mondiales en période baissière domestique
Figure 8 : Rendement des obligations de sociétés domestiques en période baissière mondiale
Dernier volet du marché mondial : les titres de marchés émergents et les obligations à haut rendement
Jusqu’à présent dans notre série d’articles, nous avons examiné les différences entre les expositions mondiales et régionales en obligations d’État et en obligations de sociétés de haute qualité de pays développés. Dans les deux cas, nous avons montré que le principal avantage des titres à revenu fixe mondiaux est une meilleure diversification des portefeuilles, qui peut profiter aux rendements ajustés au risque. Le marché des titres à revenu fixe mondiaux comprend deux autres segments : les obligations de marchés émergents et les obligations à rendement élevé. Dans cette partie, notre objectif vise à relever les facteurs de risque et de rendement les plus pertinents pour les investisseurs qui réfléchissent à élargir la portée de leur portefeuille, sans entrer dans les détails. Par exemple, les titres de marchés émergents émis en dollars américains affichent généralement une dynamique de rendement différente de celle des titres émis en devise locale. Toutefois, pour les besoins de cet article, nous parlerons du segment des marchés émergents dans son ensemble.
Figure 9 : Rendement à échéance historique des catégories d’obligations mondiales
La figure 9 présente le profil des rendements à échéance historique des quatre segments du marché des titres à revenu fixe mondiaux et appelle les observations suivantes :
- Les titres de marchés émergents et les obligations à haut rendement offrent traditionnellement des rendements à échéance nettement plus élevés.
- Les rendements à échéance des obligations d’État et des obligations de sociétés de haute qualité de pays développés suivent quant à eux une tendance à la baisse particulièrement marquée.
- Par contre, les rendements à échéance des titres de marchés émergents et des obligations à haut rendement sont nettement plus volatiles.
- Ils fluctuent très différemment de ceux des obligations d’État et des obligations de sociétés de haute qualité de pays développés, deux segments qui ont tendance à se suivre étroitement.
Prises collectivement, ces observations indiquent que les titres de créance de marchés émergents et les obligations à haut rendement ont sans doute un profil risque-rendement distinct, qui a des conséquences sur la diversification et la couverture du risque de change.
Comme nous l’avons démontré précédemment, les investisseurs ne peuvent pas raisonnablement s’attendre à être récompensés pour le fait d’assumer passivement le risque de change sur un horizon à très long terme. Une couverture de ce risque est nécessaire pour atteindre le profil de volatilité souhaité dans le volet des obligations mondiales d’État et de sociétés de haute qualité. En revanche, dans la composante des titres de marchés émergents et des obligations à haut rendement, les avantages que procure la couverture du risque de change sont moins évidents. En effet, pour ces titres, les fluctuations des devises finissent par ne représenter qu’une part infime de la volatilité totale. L’incidence de la couverture du risque de change peut varier selon la devise du pays de l’investisseur et sa corrélation avec le risque de crédit accru inhérent à ces segments. Examinons par exemple la figure 10 : on constate que la volatilité des titres de marchés émergents ou des obligations à haut rendement couvert en CAD est légèrement plus élevée.3
Figure 10 : Comparaison de la volatilité avec ou sans couverture
Ici, le risque de crédit présente une corrélation négative avec le taux de change CAD/USD (puisque le dollar américain est considéré comme une devise refuge qui a tendance à s’apprécier pendant les périodes d’aversion pour le risque). Un risque de change non couvert améliore donc légèrement la volatilité d’un portefeuille diversifié d’un investisseur canadien. Bien entendu, selon la devise du pays de l’investisseur et sa corrélation avec le risque de crédit, l’inverse pourrait aussi se produire. Par ailleurs, la stratégie de couverture peut être différente au moment de l’implantation, particulièrement avec de la gestion active (un sujet qui fera l’objet d’un prochain article).
La figure 11 présente différentes mesures du rendement et du risque historiques des titres à revenu fixe mondiaux. Les obligations de sociétés de haute qualité de pays développés ont généré les meilleurs rendements ajustés au risque, mais les titres de marchés émergents et les obligations à haut rendement ont produit de meilleurs rendements absolus, moyennant un risque propre plus élevé. Toutefois, la prime de rendement à long terme réalisée ne s’avère peut-être pas aussi intéressante que l’on pouvait s’y attendre, compte tenu des écarts de crédit sur ces marchés. Cela est dû au fait que la durée, un facteur important des rendements réalisés, varie selon les segments du marché. Ainsi, les obligations d’État ont une durée modifiée de 8,4 ans, par rapport à 4,2 ans pour les obligations à haut rendement.4 Par conséquent, même si les obligations à haut rendement ont affiché des écarts substantiels, les obligations d’État ont été avantagées par leur plus grande sensibilité aux fluctuations des taux d’intérêt pendant la longue période de baisse des taux d’intérêt. Si cette tendance venait à s’inverser, la prime de rendement associée aux titres de crédit ayant une durée plus courte serait probablement beaucoup plus élevée.
Figure 11 : Risque, rendement et corrélation historiques des catégories d’obligations mondiales
En général, le risque de taux d’intérêt des obligations de sociétés de haute qualité constitue un facteur important du rendement total (malgré les écarts de crédit); c’est pourquoi elles présentent une forte corrélation avec les obligations d’État (0,75). En ce qui concerne les titres de marchés émergents et les obligations à haut rendement, le principal facteur du rendement total est l’exposition aux écarts de crédit sous-jacents qui tend à présenter une corrélation négative avec le risque de taux d’intérêt. Par exemple : lorsqu’il y a des turbulences sur les marchés, les investisseurs ont tendance à transférer des actifs dans des placements perçus comme sûrs (comme des obligations d’État de pays développés) et à éviter les placements à risque élevé. À l’inverse, dans des conditions normales, les investisseurs délaissent les actifs refuges à faible rendement en faveur de placements plus risqués. Par conséquent, plus l’exposition aux écarts de crédit augmente, plus la corrélation diminue. Cela signifie que, bien que ces stratégies présentent un risque propre plus élevé, elles peuvent constituer un bon outil de diversification lorsqu’elles sont combinées à des stratégies moins risquées, comme des obligations de sociétés de haute qualité et, surtout, des obligations d’État de pays développés. Tous les segments du marché des titres à revenu fixe mondiaux, même ceux dont les profils de risque sont beaucoup plus élevés, peuvent être combinés et procurer des avantages particuliers aux portefeuilles, que ce soit la réduction du risque, l’amélioration du rendement ou la diversification.
Conclusion
Lorsqu’on investit à l’échelle mondiale dans le segment des titres de crédit, qui englobe les obligations de sociétés de haute qualité de pays développés, les obligations de marchés émergents et les obligations à rendement élevé, on constate ce qui suit :
- Le profil risque-rendement à long terme d’une exposition stratégique à long terme dans des obligations de sociétés mondiales couvertes s’avère parfois peu différent de celui des obligations de sociétés domestiques.
- Du fait de la nature hétérogène de l’écart de crédit de haute qualité, investir dans ces titres à l’échelle mondiale offre probablement aux investisseurs dont le portefeuille est géré activement une opportunité à laquelle ils n’auraient pas accès en restant confinés sur leur marché domestique.
- Les instruments à rendement à échéance plus élevé, comme les titres de marchés émergents et les obligations à haut rendement, peuvent accroître les rendements à long terme, tout en augmentant la diversification du portefeuille avec le risque de taux d’intérêt.
Pour ce qui est du risque de change, la couverture des obligations de sociétés de haute qualité de pays développés (et des obligations d’État) s’avère très profitable. Par contre, les avantages de la couverture des titres à revenu fixe à volatilité plus élevée, comme les titres de marchés émergents et les obligations à rendement élevé, sont moins évidents. En définitive, l’impact de la stratégie de couverture dépend de la corrélation entre la devise du pays de l’investisseur et les écarts plus volatiles que présentent invariablement ces catégories d’actif, ainsi que d’autres facteurs liés à la mise en oeuvre de la stratégie.
D’après notre analyse du profil historique de risque et de rendement du marché des titres à revenu fixe mondiaux, nous sommes convaincus qu’une approche de placement véritablement mondiale est optimale pour constituer un portefeuille à revenu fixe. Dans le prochain numéro de la série Investir dans les obligations mondiales, nous jetterons un regard prospectif pour tenter de déterminer si les présentes observations sont valables au niveau d’un portefeuille global et selon les différents objectifs des investisseurs institutionnels.